Mais nul ne connaît Son mystère.

Le chef de famille quitte sa maison quand il l’entend.

L’ascète revient à l’amour quand il l’entend.

Les six philosophies le commentent.

L’Esprit de renonciation émane de lui.

De ce Mot le monde des formes est né.

Ce Mot révèle tout.

— Kabir dit : « Mais qui sait d’où vient ce Mot ? »

LVIII

Vide la coupe ! Enivre-toi ! Bois le divin nectar de Son Nom !

Kabir dit : « Écoute-moi, cher Sadhu ! Du sommet de la tête à la plante des pieds, l’homme est empoisonné par l’intelligence. »

LIX

Ô homme, si tu ne connais pas ton propre Seigneur, de quoi es-tu si fier ?

Renonce à toute habilité. Jamais de simples mots ne t’uniront à Lui.

Ne te laisse pas tromper par le témoignage des Écritures.

L’amour est bien différent de la lettre, et celui qui en toute sincérité l’a cherché l’a trouvé.

LX

La douceur de vaguer sur l’océan de l’immortelle vie m’a délivré de toutes vaines questions.

Comme l’arbre est dans la graine, ainsi tous les maux sont dans les vaines demandes.

LXI

Quand enfin tu as trouvé l’océan du bonheur, ne t’en va pas assoiffé.

Réveille-toi, fou que tu es ! La mort te guette, Ici est l’eau pure devant toi. Bois-la à perdre haleine.

Ne poursuis pas le mirage, mais aie soif de nectar.

Dhruva, Prahlad et Shukadeva en ont bu ; Raidas en a goûté.

Les Saints sont ivres d’amour ; c’est d’amour qu’ils ont soif.

Kabir dit : « Écoute, mon frère ! le repaire de la crainte est brisé ;

Pas un instant tu n’as regardé le monde face à face.

Avec la fausseté tu tisses ton esclavage ; tes paroles sont pleines de tromperie.

Avec le fardeau de désirs dont ta tête est chargée, comment pourrais-tu être léger ? »

Kabir dit encore ; « Garde en toi la vérité, l’esprit de sacrifice et l’amour. »

LXII

Qui a appris à la veuve à laisser consumer son corps sur le bûcher de son époux défunt ?

Mais qui a appris à l’amour à trouver sa joie dans le sacrifice ? –

LXIII

Pourquoi, mon cœur, es-tu si impatient ?

Celui qui veille sur les oiseaux, sur les bêtes et sur les insectes,

Celui qui a pris soin de toi quand tu étais encore dans le sein de ta mère

Ne te préservera-t-il plus à présent que tu en es sorti ? –

Ô mon cœur, comment peux-tu te détourner du sourire de ton Dieu et errer si loin de Lui ?

Tu as abandonné ton Bien-Aimé pour penser à d’autres. Voilà pourquoi ton œuvre est vaine.

LXIV

Comme il m’est difficile de rencontrer mon Seigneur !

L’oiselle de pluie, altérée, appelle la pluie à grands cris. Elle mourra d’attente plutôt que de boire une autre eau ;

Attirée par les sons de la musique, la biche s’approche ; elle risque sa vie en les écoutant et pourtant la crainte ne la fait pas reculer.

La veuve reste assise auprès du corps de son époux ; le feu ne lui fait pas peur.

N’aie aucune crainte pour ton misérable corps.

LXV

Ô frère ! quand je m’égarais, le vrai Maître me montra la route.

Alors je laissai les rites et les cérémonies ; je ne me plongeai plus dans les eaux sacrées.

Je compris que moi seul j’étais fou ; que tout le monde autour de moi était sain d’esprit et que je scandalisais les gens sages.

Depuis ce jour, je ne me roule plus dans la poussière en signe d’obéissance ;

Je ne sonne plus la cloche du temple ;

Je ne place plus l’idole sur son trône ;

Je ne mets plus de fleurs devant les images en signe d’adoration.

Ce ne sont pas les austérités et les mortifications de la chair qui plaisent au Seigneur.

Ce n’est pas en quittant tes vêtements et en tuant tes sens que tu Lui es agréable.

L’homme qui est bon, loyal, qui demeure calme au milieu de l’agitation du monde, qui estime autant que soi-même toutes les créatures de la Terre.

Cet homme-là atteint l’Être Immortel et le vrai Dieu est avec lui.

Kabir dit : « Celui dont les paroles sont pures et qui n’a ni orgueil ni envie connaît Son vrai Nom. »

LXVI

L’ascète teint ses vêtements au lieu de teindre son âme des couleurs de l’amour.

Il reste assis dans le temple, abandonnant Brahma pour adorer une pierre ;

Il se perce les oreilles ; il porte une longue barbe et des guenilles sordides ; il ressemble à un bouc.

Il marche dans le désert, tuant en lui le désir et il devient semblable à l’eunuque.

Il se tond la tête et teint ses vêtements ; il lit la Gita et devient un grand bavard.

Kabir dit : « Toi qui agis comme lui, tu vas aux portes de la mort, pieds et mains liés. » –

LXVII

Je ne sais quel est mon Dieu.

Le Mullah crie vers Lui. Pourquoi ? Le Seigneur est-il sourd ? Il entend bien résonner les fines articulations d’un insecte qui marche.

Égrène ton chapelet ; peins sur ton front le chiffre de ton Dieu ; porte de longues guenilles tachées et voyantes ; si une arme de mort est dans ton cœur, comment posséderas-tu Dieu ?

LXVIII

J’entends la mélodie de Sa flûte et je ne suis plus maître de moi.

La fleur s’épanouit sans que le printemps soit venu, et déjà l’abeille a reçu son message odorant.

Le tonnerre gronde, les éclairs brillent ; des vagues s’élèvent dans mon cœur.

La pluie tombe et mon âme languit après mon Seigneur.

Là où le rythme du monde tour à tour prend naissance et meurt, c’est là que mon cœur a atteint.

Là les bannières cachées flottent au vent.

Kabir dit : « Mon cœur se meurt de vivre. »

LXIX

Si Dieu est dans la mosquée, alors à qui le monde appartient-il ?

Pèlerin, si Rama est dans l’image que tu adores, alors que se passe-t-il là où il n’y a pas d’images ?

Hari est à l’Orient ; Allah est à l’Occident. Regarde dans ton cœur, tu y trouveras à la fois Karim et Rama.

Tous les hommes et toutes les femmes du monde sont Ses formes vivantes.

Kabir est l’enfant d’Allah et de Rama. Lui est mon Maître ; Lui est mon directeur spirituel.

LXX

Celui qui est modeste et content de son sort ; celui qui est juste, celui dont l’esprit est rempli de résignation et de paix ;

Celui qui L’a vu et qui L’a touché, celui-là est libéré de la crainte et de l’angoisse.

Pour lui la pensée de Dieu est comme une pâte de santal répandue sur son corps.

Pour lui il n’y a aucune autre joie que cette pensée.

Une harmonie accompagne son travail et son repos ; un rayonnement d’amour émane de lui.

Kabir dit : « Touche les pieds de Celui qui est un, indivisible, immuable, paisible, qui remplit de joie à pleins bords les vases terrestres et dont la forme est amour. »

LXXI

Va dans la société des hommes bons, où le Bien-Aimé a sa demeure.

Prends d’eux toutes tes pensées, tout ton amour et tout ton savoir.

Que l’assemblée dans laquelle Son nom n’est pas prononcé soit réduite en cendres !

Comment, dis-moi, pourrais-tu avoir un repas de noces alors que le marié n’y serait pas ?

N’hésite plus, ne pense qu’au Bien-Aimé.

Que ton cœur n’adore pas d’autres dieux. Il n’est pas bon d’adorer d’autres maîtres.

Kabir réfléchit et dit : « Si tu agis autrement, tu ne trouveras jamais le Bien-Aimé. »

LXXII

Le bijou est perdu dans la boue et tous désirent le trouver. Ceux-ci le cherchent d’un côté, ceux-là d’un autre ; certains le voient dans l’eau, d’autres parmi les pierres.

Mais le disciple Kabir, l’appréciant à sa vraie valeur, l’a enveloppé avec soin dans son cœur comme dans le pan de son manteau.

LXXIII

Le palanquin est venu me chercher pour me conduire à la demeure de mon époux ; un frisson de joie a traversé mon cœur.

Mais les porteurs m’ont amenée dans la forêt solitaire, où je ne connais personne.

Ô porteurs, j’embrasse vos pieds en suppliante : attendez encore un moment.

Laissez-moi retourner chez mes parents et mes amis pour prendre congé d’eux.

Le disciple Kabir chante : « Ô Saint, termine tes ventes et tes achats ; laisse là tes bénéfices et tes pertes, car il n’y a ni marché ni boutiques dans le pays vers lequel tu t’achemines. »

LXXIV

Ô mon cœur, tu ne connais pas tous les secrets de cette cité d’amour : ignorant tu es venu, ignorant tu repars.

Ô mon ami, qu’as-tu fait de cette vie ? Tu as pris sur ta tête un lourd fardeau de pierres ; qui pourra l’alléger ?

Ton Ami se tient sur l’autre rive et tu ne te demandes jamais comment tu pourras le rencontrer :

Le bateau est brisé ; cependant tu restes toujours assis sur le banc et, sans avancer, tu es battu par les vagues.

« Qui auras-tu à la fin pour ami ? » te demande le serviteur Kabir, « tu es seul, tu n’as pas de compagnons ; tu supporteras les conséquences de tes actions. »

LXXV

Les Védas disent que l’inconditionné réside au-dessus du monde des conditions.

Ô femme, à quoi cela t’avance-t-il de discuter pour savoir s’il est au-dessus de tout ou s’il est en tout ?

Sois partout comme dans ta propre demeure. Le brouillard de la joie et de la douleur ne s’y répandra jamais.

Brahma s’y révélera jour et nuit, vêtu de lumière, assis sur un trône de lumière, la tête rayonnante de lumière.

Kabir dit : « Le vrai Maître est tout Lumière. »

LXXVI

Ouvre tes yeux d’amoureux et contemple-Le, Lui qui règne sur l’Univers ! Considère l’Univers et apprends que c’est là ton pays.

Quand tu auras rencontré le vrai Maître, Il réveillera ton cœur.

Il te dira les secrets de l’amour et du sacrifice et alors tu connaîtras qu’il surpasse l’Univers.

Ce monde est la cité de la vérité ; le labyrinthe de ses sentiers enchante le cœur.

Nous pouvons atteindre le but sans traverser la route ; c’est un sport qui ne finit jamais.

Là où le cercle des multiples joies danse autour du Créateur, là sont les jeux de l’Éternelle Félicité.

Quand nous les connaîtrons, alors le cycle de toutes nos acceptations et de tous nos renoncements sera achevé.

Alors la flamme de la cupidité ne nous brûlera plus.

Il est le repos ultime et sans limite.

Il a étendu sur le monde entier les formes de son amour.

Du Rayon, qui est Vérité, des ondes de formes nouvelles perpétuellement jaillissent et Il pénètre ces formes.

Tous les jardins, tous les bosquets, tous les berceaux de verdure abondent de fleurs et l’air s’y brise en vaguelettes de joie.

Là le cygne joue un jeu merveilleux.

Là les sons de la mystérieuse musique tourbillonnent autour de l’infinie Unité.

Là brille, au point central, le Trône de Celui qui contient toutes choses ; le Grand Être y est assis.

La lumière de millions de soleils s’évanouit, honteuse, devant la radiance d’un seul cheveu de son corps.

Sur le chemin, quelles douces mélodies la harpe fait entendre ! Leurs notes transpercent le cœur.

L’Éternelle Fontaine de vie laisse couler ses flots où se jouent sans fin la naissance et la mort.

Et l’on appelle Néant Celui qui est la Vérité des vérités, Celui en qui toutes les vérités sont contenues !

En Lui se perpétue la création qui est au-dessus de toute philosophie et que nulle philosophie ne peut concevoir.

Il y a un monde sans fin, ô mon frère, et il y a l’Être sans nom, de qui rien ne peut être dit.

Le monde illimité n’est connu que de celui qui l’a atteint. Il est autre que tout ce qui a été dit et entendu.

Ni formes, ni corps, ni étendue, ni souffle n’y existent. Comment pourrais-je te dire quel il est.

Il est sur le chemin de l’Infini, sur lequel la grâce du Seigneur descend ; il est libéré de la naissance et de la mort celui qui atteint à Lui.

Kabir dit : « Ces sentiments ne peuvent être exprimés par les mots de la bouche ; ils ne peuvent être écrits sur le papier. »

Comment les traduirait-on ? Nous sommes des muets qui goûtons à des choses exquises.

LXXVII

Ô mon cœur ! Allons à ce pays où demeure le Bien-Aimé, le Ravisseur de mon cœur !

L’Amoureuse y remplit sa cruche au puits et pourtant elle n’a pas de corde pour la retirer de l’eau.

Les nuages, en ce pays, ne couvrent pas le ciel et pourtant la pluie y tombe en douces ondées.

Ô esprit pur ! Ne reste pas assis sur le seuil de ta porte. Sors et baigne-toi dans cette eau bienfaisante !

Dans cette contrée merveilleuse règne un perpétuel clair de lune ; il n’y fait jamais sombre. Et qui parle d’un seul soleil ? Ce pays est illuminé par les rayons de millions d’astres.

LXXVIII

Kabir dit : « Ô Sadhu ! écoute mes immortelles paroles. Si tu veux ton bien, fais-y grande attention : tu t’es séparé du Créateur de Qui tu es né ; tu as perdu la raison ; tu as mérité la mort.

Toutes les doctrines, tous les enseignements viennent de Lui ; c’est en Lui qu’ils s’épanouissent. Tiens cela pour certain et n’aie pas peur.

Entends de moi la nouvelle de cette grande vérité !

Quel nom psalmodies-tu et sur qui médites-tu ? Ô sors de ce labyrinthe !

Il est, Lui, au cœur de toutes choses ; pourquoi te réfugier dans une vaine désolation ?

Si tu places le Maître loin de toi, c’est donc seulement son éloignement que tu honores. Si réellement le Maître est loin, alors par quoi ce monde a-t-il été créé ?

Quand tu crois qu’il n’est pas ici, alors tu erres de plus en plus loin et tu le cherches en vain dans les larmes.

Là où Il est loin, on ne peut L’atteindre, là où Il est près, Il est la véritable félicité.

Kabir dit : « De peur que son serviteur ne souffre, Il le pénètre profondément. »

Connais-toi donc, ô Kabir, car Il est en toi de la tête aux pieds.

Chante de joie et affermis-toi inébranlablement dans ton cœur.

LXXIX

Je ne suis ni pieux ni athée.

Je ne vis ni selon les commandements ni selon ma raison.

Je ne suis ni orateur ni auditeur.

Je ne suis ni serviteur ni maître.

Je ne suis ni libre ni enchaîné.

Je ne suis ni attaché ni détaché.

Je ne suis loin d’aucun ; je ne suis près de personne.

Je n’irai ni aux enfers ni au ciel.

Je travaille à tout et cependant je suis en dehors de tout travail.

Peu me comprennent ; Celui qui m’a compris demeure en paix.

Kabir ne cherche jamais ni à créer ni à détruire.

LXXX

Le vrai nom n’est semblable à aucun autre nom.

Distinguer entre le Conditionné et l’Inconditionné, ce n’est qu’une question de mots.

L’Inconditionné est la graine ; le Conditionné est la fleur et le fruit.

Le savoir est la branche ; le Nom est la racine.

Cherche la racine. Tu seras heureux quand tu l’auras trouvée.

La Racine te conduira à la branche, à la feuille, à la fleur et au fruit.

Ce sera ta rencontre avec le Seigneur, ce sera la réalisation de ta joie ; ce sera la réconciliation du Conditionné et de l’Inconditionné.

LXXXI

Au commencement Il était seul et Il se suffisait à Lui-même, Être sans forme, sans couleur, inconditionné.

Il n’y avait alors ni commencement, ni milieu, ni fin.

Il n’y avait pas d’yeux, pas de nuit, pas de jour.

Il n’y avait pas de terre, ni air, ni ciel, ni feu, ni eau ; pas de rivières comme le Gange et la Jumna ; pas de mers, pas d’océans, pas de vagues.

Il n’y avait ni vices ni vertus, ni livres sacrés, tels que les Védas, les Puranas ou le Coran.

Kabir réfléchit et dit : « Alors tout était silence et paix. L’Être suprême demeurait immergé au sein profond de Lui-même.

Le Maître ne mange ni ne boit, ne vit ni ne meurt.

Il n’a ni forme, ni couleur, ni vêtement.

Il n’est ni d’un clan, ni d’une caste, ni de rien… Comment pourrais-je décrire sa gloire ?

Il n’a pas de forme et cependant Il n’est pas sans formes.

Il n’a pas de nom.

Il n’est pas coloré et il n’est pas incolore.

Il n’a pas de demeure. »

LXXXII

Kabir médite et dit : « Celui qui n’a ni caste ni pays, qui n’a ni forme ni qualité, emplit l’espace. »

Le Créateur a mis dans l’être le jeu de la joie et, du mot « Om » est née la création.

La terre est Sa joie ; Sa joie est le ciel.

Sa joie est l’éclat du soleil et de la lune.

Sa joie est le commencement, le milieu et la fin.

Sa joie est vision, ombre et lumière.

Les océans et les vagues sont Sa joie.

Sa joie, les Saravasti, la Jumna et le Gange.

Le Maître est Un : Vie et mort, union et séparation sont les jeux de Sa joie !

Ses jeux sont le sol et l’eau et l’Univers entier !

Ses jeux la terre et le ciel.

Dans le jeu la création se développe, dans le jeu elle est établie.

« Le monde entier », dit Kabir, « repose sur Son jeu ; mais le Joueur reste inconnu ».

LXXXIII

La harpe fait entendre une douce musique et la danse continue sans danseurs.

La musique est jouée sans doigts ; elle est entendue sans oreilles ; car Il est l’Oreille et Il écoute.

La porte est fermée, mais l’encens est à l’intérieur et le rendez-vous n’est vu de personne.

Le sage comprend ces paroles.

LXXXIV

Le mendiant mendie, mais je n’arrive pas à Le voir.

Et que demanderais-je au Mendiant ? Il me donne sans que je Lui demande rien.

Kabir dit : « Je suis à Lui ; je laisse s’accomplir la Destinée. »

LXXXV

Mon cœur réclame la demeure de mon Bien-Aimé. La grande route et l’abri d’un toit sont pareils pour celle qui a perdu la cité de son époux.

Mon cœur ne trouve de joie à rien ; mon esprit et mon corps sont distraits.

Son palais a un million de portes ; mais il y a un vaste océan entre Lui et moi.

Comment le traverserais-je ? Ô ami, sans fin est l’étendue de ce chemin.

Quel merveilleux ouvrage est cette lyre ! Quand elle est bien accordée elle affole le cœur ; mais, si les clefs se brisent et si les cordes se détendent, elle n’intéresse plus personne.

Je dis en riant à mes parents : il faut que j’aille voir ce matin mon Seigneur.

Ils se mettent en colère ; ils ne veulent pas me laisser aller et ils disent : « Elle croit avoir pris un tel empire sur son époux qu’elle peut obtenir de Lui tout ce qu’elle veut ; voilà pourquoi elle est impatiente de retrouver son Seigneur. »

À présent, cher ami, levez bien légèrement mon voile, car voici ma nuit d’amour.

Kabir dit : « Écoute-moi ! Mon cœur est impatient de rencontrer mon Bien-Aimé ; je demeure sur mon lit sans sommeil. Souviens-toi de moi de bonne heure au matin. »

LXXXVI

Sers ton Dieu qui est venu dans ce temple qu’est la vie.

Ne joue pas le rôle d’un fou, car les ombres de la nuit s’épaississent vite.

Il m’a attendu pendant l’éternité des âges ; par amour pour moi Il a perdu Son cœur.

Pourtant je ne connaissais pas la joie qui était si près de moi ; mon amour n’était pas encore éveillé.

Mais à présent, mon amoureux m’a fait connaître le sens des sons qui ont frappé mes oreilles.

Maintenant mon bonheur est réalisé.

Kabir dit : « Vois combien est grande ma bonne fortune ! J’ai reçu l’infinie caresse de mon Bien-Aimé ! »

LXXXVII

Les nuées d’orage s’amoncellent au ciel ! Ô écoute la voix profonde de leur grondement.

La pluie vient de l’orient et murmure sa plainte monotone.

Fais attention aux clôtures de tes champs, de peur que la pluie n’inonde ceux-ci.

Prépare le sol de la Délivrance et laisse noyer sous l’averse les parasites de l’amour et du sacrifice.

C’est le fermier prudent qui fêtera la fin de la moisson. Il remplira ses vases de grains et nourrira les Sages et les Saints.

LXXXVIII

Ce jour m’est cher entre tous les jours, car aujourd’hui mon bien-aimé Seigneur est l’hôte de ma maison.

Ma chambre et mon cœur resplendissent de Sa présence.

Mes ardents désirs chantent Son mon et se perdent dans son infinie beauté.

Je lave Ses pieds ; je contemple sa face et devant Lui je me prosterne, Lui apportant comme offrandes mon corps, mon âme et tout ce que je possède.

Quel jour de joie est ce jour où mon Bien-Aimé, qui est mon trésor, vient dans ma maison !

Toutes mauvaises pensées s’envolent de mon cœur quand j’aperçois mon Seigneur.

« Mon amour L’a touché ; mon cœur languit après son Nom qui est Vérité. » Ainsi chante Kabir le serviteur de tous Ses serviteurs.

LXXXIX

Y a-t-il un homme sage pour écouter la musique solennelle qui s’élève vers le ciel !

Il est la Source de toute musique ; Il en remplit jusqu’au bord tous les vases humains et demeure Lui-même rempli.

Celui qui vit corporellement est toujours altéré car l’objet de ses recherches est imparfait, mais toujours jaillissent plus profondément en lui ces paroles, où fusionnent l’amour et le sacrifice : « Il est ceci ; ceci est Lui. »

Kabir dit : « Ô frère, voilà les mots suprêmes. »

XC

Où irai-je pour apprendre à connaître mon Bien-Aimé ?

Kabir dit : « Tu ne trouveras jamais la forêt, si tu ne connais pas l’arbre ; ainsi jamais tu ne Le trouveras si tu Le cherches dans des abstractions. »

XCI

J’ai appris le sanscrit ; laisse donc tous les hommes m’appeler Sage :

Mais de quelle utilité m’est tout mon savoir si j’erre à l’abandon, si mon gosier se dessèche de soif et si je brûle de l’ardeur de mon désir ?

Kabir dit : « C’est bien inutilement que tu portes sur ta tête ce poids d’orgueil et de vanité ; dépose-le dans la poussière et va au-devant du Bien-Aimé. Adresse-toi à Lui comme à ton Seigneur. »

XCII

Séparée de son amoureux, la femme file à son rouet.

La cité de son corps se dresse dans sa beauté et le palais de l’esprit y a été construit.

Le rouet de l’amour tourne au ciel et il est fait des joyaux du savoir.

Quels fils subtils tisse la femme et combien elle les affine encore par son amour et son respect.

Kabir dit : « Je tresse la guirlande des jours et des nuits ; quand mon amoureux viendra et que Ses pieds m’effleureront, je Lui offrirai mes larmes. »

XCIII

Sous le grand parasol de mon Roi brillent des millions de soleils, de lunes et d’étoiles.

Il est l’Esprit dans mon esprit ; Il est l’Œil dans mon œil.

Ah ! puissent mon esprit et mes yeux ne faire qu’un ! Puisse mon amour atteindre mon Bien-Aimé ! Puisse la fièvre ardente de mon cœur être refroidie.

Kabir dit : « Quand l’amour et l’Amoureux s’unissent, alors l’amour atteint la perfection. »

XCIV

Ô Saint, mon pays est un pays sans douleur.

À haute voix je crie à tous, au roi comme au mendiant, à l’Empereur comme au Fakir :

Quiconque cherche un abri auprès du Très Haut, qu’il vienne dans mon pays !

Qu’il y vienne celui qui est triste et las et qu’il y dépose son fardeau !

Vis ici, mon frère, afin de pouvoir plus facilement passer sur l’autre rive.

Ici est un pays sans terre ni ciel, sans lune ni étoiles. Seul le rayonnement de la Vérité brille dans le Triomphe de mon Seigneur.

Kabir dit : « Ô bien-aimé frère ! rien n’est essentiel hormis la Vérité. »

XCV

Je suis allée avec mon Seigneur à la maison de mon Seigneur ; mais je n’ai pas vécu avec Lui ; je n’ai pas goûté ses caresses et ma jeunesse a passé comme un rêve.

Le jour de ma nuit de noces, mes amies chantaient en chœur ; je fus ointe des onguents de joie et de douleur.

Mais quand la cérémonie fut terminée, je quittai mon Seigneur et je partis ; mes amies de noces, sur la route, essayèrent en vain de me consoler.

Kabir dit : « J’irai à la maison de mon Seigneur avec mon amoureux à mes côtés. Alors je ferai retentir la trompette de triomphe ! »

XCVI

Ô ami doux à mon cœur, réfléchis bien ! Si tu aimes vraiment, pourquoi dors-tu ?

Si tu L’as trouvé, donne-toi à Lui entièrement et unis-toi à Lui.

Pourquoi Le perds-tu après L’avoir trouvé ?

Si le profond besoin du sommeil ferme tes yeux, pourquoi perdre ton temps à faire ton lit et à arranger tes oreillers ?

Kabir dit : « Je t’ai enseigné les voies de l’amour. Même si tu devais donner ta tête, pourquoi pleurer ? »

XCVII

Le Seigneur est en moi ; le Seigneur est en toi comme la vie est dans chaque semence ! Ô mon Serviteur, renonce à un faux orgueil et cherche en toi ton Seigneur.

Un million de soleils rayonnent de lumière.

Un océan de bleu s’étend au ciel.

La fièvre de la vie s’apaise et tous mes péchés sont lavés, quand je demeure au sein même du monde.

Écoute les cloches et les tambours de l’Éternité ! Prends ton délice dans l’amour !

La pluie tombe sans eau et les rivières sont des torrents de lumière.

L’Amour seul peut pénétrer le monde et peu nombreux sont ceux qui savent ces choses.

Ils sont aveugles ceux qui veulent les voir à la lumière de la Raison, de cette raison qui est la cause de la séparation.

Le palais de la Raison est très lointain !

Combien Kabir est béni de pouvoir, au sein de la joie infinie, chanter en lui-même le chant de la rencontre de l’âme avec l’Âme, le chant d’oubli des souffrances, le chant qui surpasse tout ce qui pénètre en nous et tout ce qui émane de nous.

XCVIII

Le mois de mars approche ; Ah ! qui m’unira à mon Bien-Aimé ?

Comment trouverai-je des mots pour dire la beauté de mon Amoureux ? Il se confond avec la beauté.

Sa couleur est dans toutes les images du monde ; elle enchante le corps et l’esprit.

Ceux qui connaissent sa beauté savent combien sont ineffables les jeux de sa création.

Kabir dit : « Écoute-moi, mon frère ! il y en a peu qui ont fait cette découverte. »

XCIX

Ô Narad ! je sais que mon amoureux ne peut pas être loin.

Quand mon amoureux s’éveille, je m’éveille ; quand Il dort, je dors.

Il sera anéanti celui qui afflige mon Bien-Aimé.

Là où l’on chante ses louanges, là je vis.

Quand Il marche, je marche devant Lui.

Mon cœur soupire après mon Bien-Aimé.

Un pèlerinage sans fin se déroule à Ses pieds et des millions de dévots y sont prosternés.

Kabir dit : « Le Bien-Aimé Lui-même révèle la gloire du véritable amour. »

C

Accroche aujourd’hui la balançoire de l’amour !

Suspends ton corps et ton esprit entre les bras du Bien-Aimé dans l’extase de la joie d’amour.

Approche de tes yeux les flots de larmes des nuages gros de pluie et recouvre ton cœur des ombres de la nuit.

Approche ton visage de Son oreille et murmure-Lui les plus profondes aspirations de ton âme.

Kabir dit : « Écoute-moi, frère ! porte la vision de ton Bien-Aimé dans ton cœur. »

  

1 Amie.

2 Le nom du poète.

3 Le nom du poète.

4 Le nom du poète.

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