Devant qui pourrait-on jamais l’exprimer ?
Kabir dit : « Mon Maître est plus grand que les mondes et grande est la bonne fortune de son disciple. »
XXVIII
Devant l’inconditionné danse le conditionné.
« Toi et moi, nous ne sommes qu’un » proclament les trompettes.
Le Maître s’avance et salue son disciple : ceci est la plus grande des merveilles.
XXIX
Gorakhnatte demande à Kabir : « Dis-moi, ô Kabir : quand ta vocation a-t-elle commencée ? Où ton amour a-t-il pris naissance ? »
Kabir répond : « Quand celui dont les formes sont multiples n’avait pas encore commencé Sa représentation ; quand il n’y avait ni maître, ni disciple ; quand le monde n’existait pas encore ; quand l’Un Suprême était seul – C’est alors que je devins ascète. Alors, ô Gorakh, Brahma attira mon cœur à Lui.
Quand je fus instruit dans la doctrine des ascètes, Brahma n’était pas couronné, Vishnu n’était pas oint roi, la puissance de Shiva n’était pas encore née.
C’est à Bénarès qu’une révélation soudaine me toucha et que Ramananda m’illumina.
Avec moi j’apportais la soif de l’Infini ; je suis venu au rendez-vous de mon Dieu.
En toute simplicité je m’unirai avec la simple Unité. Mon amour en surgira.
Ô Gorakh, marche au rythme de Sa musique ! »
XXX
Sur cet arbre est un oiseau ; il danse dans la joie de la vie.
Nul ne sait où il est. Et qui peut dire quel est le refrain de sa chanson ?
Où l’ombre la plus épaisse tombe des branches, c’est là qu’il a son nid. Il y vient au soir et s’envole au matin ; je ne le comprends pas.
Nul ne peut me dire quel est cet oiseau qui chante en mon âme. Ses plumes ne sont ni colorées ni incolores. – Il n’a ni forme ni contour. Il se tient dans l’ombre de l’amour.
Il dort au sein de l’inaccessible, de l’Infini et de l’Éternel et nul ne sait quand il s’envole et nul ne sait quand il revient.
Kabir dit : « Ô frère Saint ! profond est ce mystère. Laisse les sages chercher où habite cet oiseau. »
XXXI
Jour et nuit une angoisse cruelle m’accable et je ne peux dormir.
Je soupire après le rendez-vous que me fixera mon Bien-Aimé et je n’ai plus aucun plaisir à demeurer dans la maison de mon père.
Les portes du ciel sont ouvertes ; j’entre dans le temple ; je rencontre mon époux et je dépose à ses pieds l’offrande de mon corps et de mon esprit.
XXXII
Danse, mon cœur ; danse de joie aujourd’hui.
Des chants d’amour emplissent de musique les jours et les nuits et le monde est attentif à leurs mélodies.
Folles de joie, la vie et la mort dansent au rythme de cette musique. Les monts et l’océan et la terre dansent – Au milieu d’éclats de rire et de sanglots l’humanité danse.
Pourquoi mettre une robe de moine et vivre hors du monde dans une orgueilleuse solitude ?
Vois ! Mon cœur danse dans la joie de la connaissance et le Créateur en est heureux.
XXXIII
Où est l’utilité des mots puisque l’amour a enivré mon cœur ?
J’ai enveloppé le diamant dans mon manteau : pourquoi le découvrir à tous moments ?
Quand le plateau de la balance était léger, il montait ; à présent qu’il est chargé à quoi bon peser sur lui.
Le cygne a pris son vol jusqu’au lac qui est là-bas derrière les montagnes ; pourquoi rechercherait-il les mares et les fossés ?
Ton Seigneur est en toi ; pourquoi tes yeux s’ouvriraient-ils sur le monde extérieur ?
Kabir dit : « Écoute, mon frère ! mon Seigneur m’a ravi et m’a uni à Lui. »
XXXIV
Comment pourrait-on briser l’amour qui nous unit ?
Comme la feuille de lotus repose sur l’eau, ainsi tu es mon Seigneur et je suis ton servant.
Comme l’oiseau de nuit le Chakor contemple la lune pendant la nuit, ainsi tu es mon Seigneur et je suis ton servant.
Depuis le commencement jusqu’à la fin du temps, l’Amour est entre Toi et moi. – Comment un tel amour pourrait-il s’éteindre ?
Kabir dit : « Comme la rivière entre dans l’océan, ainsi mon cœur pénètre en Toi. »
XXXV
Mon corps et mon esprit sont tristes ; ils ont besoin de Toi.
Ô mon Bien-Aimé ! Viens à ma maison.
Quand on m’appelle ta fiancée, j’en suis honteuse, car mon cœur n’a pas possédé ton cœur.
De quelle sorte est donc mon amour ? Je n’ai pas faim ; je n’ai pas de sommeil ; en Lui comme en dehors de Lui je ne trouve jamais de repos.
Comme l’eau est à l’altérée, ainsi est l’amoureux à la fiancée. Qui portera mon message à mon Bien-Aimé ?
Kabir est dans l’angoisse. Il meurt de ne L’avoir pas vu.
XXXVI
Ô amie, réveille-toi ; ne dors plus !
La nuit est finie ; veux-tu aussi perdre ta journée ?
D’autres qui se sont réveillées à temps ont reçu des bijoux.
Ô femme folle ! tu as tout perdu pendant ton sommeil.
Ton Amoureux est sage et toi tu es insensée, ô femme !
Jamais tu n’as préparé le lit de ton époux.
Ô folie – tu as passé tes jours en jeux inutiles.
Ta jeunesse s’est flétrie en vain, car tu n’as pas connu ton Seigneur.
Éveille-toi, éveille-toi ! Vois, ton lit est vide. Dans la nuit Il t’a quittée.
Kabir dit : « Celle-là seule s’éveille dont le cœur est percé par les flèches de sa parole. »
XXXVII
Où est la nuit quand le Soleil brille ?
S’il fait nuit, c’est que le Soleil a retiré sa lumière.
Là où il y a connaissance, l’ignorance peut-elle demeurer ? Et, s’il y a ignorance, la connaissance doit périr.
S’il y a luxure, comment y aurait-il amour ? Où est l’amour, il n’y a pas de luxure.
Saisis ton épée et va à la bataille. Combats, ô mon frère, tant que durera ta vie.
Coupe la tête de ton ennemi, lui donnant ainsi une mort rapide ; puis viens et courbe le front devant le triomphe de ton Roi.
L’homme vaillant n’abandonne jamais le combat ; celui qui s’enfuit n’est pas un vrai combattant.
Dans le champ clos de notre corps se livre une grande guerre contre les passions, la colère, l’orgueil et l’envie.
C’est dans le Royaume de la Vérité du contentement et de la pureté que cette bataille fait rage et l’épée qui sonne le plus haut est le glaive de Son Nom.
Kabir dit : « Quand un brave chevalier entre en campagne, une multitude de lâches est mise en fuite.
C’est un dur et fastidieux combat que livre celui qui cherche la vérité. Son vœu est plus difficile à accomplir que celui du guerrier ou que celui de la veuve qui veut rejoindre son époux.
Car le guerrier combat pendant quelques heures et la lutte de la veuve avec la mort est bien vite achevée :
Mais la bataille de celui qui cherche la Vérité continue jour et nuit et, aussi longtemps que dure sa vie, elle ne cesse pas. »
XXXVIII
La serrure de l’erreur ferme la grille : ouvre-la avec la clef de l’amour.
En ouvrant la porte tu réveilleras le Bien-Aimé.
Kabir dit : « Ô frère ! ne passe pas à côté d’une pareille bonne fortune. »
XXXIX
Ô ami ! le corps est Sa lyre.
Il tend ses cordes et fait résonner la mélodie de Brahma.
Si les cordes cassent et que les clefs lâchent, alors, instrument de poussière, le corps retourne à la poussière.
Kabir dit : « Nul autre que Brahma ne peut évoquer de telles mélodies. »
XL
En vérité, il m’est cher celui qui peut ramener à la maison le voyageur égaré.
Dans la maison est la véritable union, dans la maison est la joie de la vie ; pourquoi abandonnerais-je ma maison pour errer dans la forêt ?
Si Brahma me fait atteindre la vérité, je trouverai dans la maison à la fois la servitude et la liberté.
Il m’est cher celui qui a le pouvoir de plonger profondément dans le Sein de Brahma celui dont l’esprit se perd aisément dans la contemplation.
Il m’est cher celui qui connaît Brahma et qui peut rester en méditation sur Sa Suprême Vérité.
Il m’est cher celui qui peut jouer la mélodie de l’Infini en unissant dans sa vie l’amour et le sacrifice.
Kabir dit : « La maison est le séjour durable ; dans la maison est le réel ; la maison nous fait atteindre Celui qui est Réalité. Ainsi reste où tu es et toutes choses te viendront en leur temps. »
XLI
Ô Saint homme ! s’unir simplement à Lui, voilà ce qu’il y a de meilleur.
Depuis le jour où j’ai rencontré mon Dieu, les jeux de notre amour n’ont jamais cessé !
Je ne ferme pas mes yeux ; je ne bouche pas mes oreilles ; je ne mortifie pas mon corps.
Je regarde avec mes yeux grands ouverts ; je souris et partout je contemple Sa beauté.
Je murmure Son nom et tout ce que je vois me parle de Lui.
Tous mes actes sont un culte que je rends à mon Dieu.
L’aurore et le crépuscule me sont semblables.
Les contradictions n’existent plus pour moi.
Partout où je vais je n’agis qu’en Lui.
Tout ce que j’accomplis est Son Service.
Quand je me couche, c’est à Ses pieds que je me prosterne.
Il est le seul adorable à mes yeux ; je n’en connais pas d’autres.
Ma langue ne prononce plus de paroles impures ; jour et nuit elle chante Ses louanges.
Debout ou assis, je ne puis l’oublier, car le rythme de Sa chanson bat à mes oreilles.
Kabir dit : « Mon cœur est embrasé d’une joie frénétique et je découvre tous les mystères cachés dans mon âme. – Je suis immergé dans une immense félicité qui surpasse toute joie et toute douleur. »
XLII
Il n’y a que de l’eau dans les bains sacrés ; je sais qu’ils sont sans efficacité, car je m’y suis baigné.
Les saintes images sont sans vie ; elles ne peuvent parler ; je le sais, car j’ai crié vers elles.
Le Purana et le Coran ne sont que des mots ; j’ai levé le voile et j’ai vu.
Kabir laisse parler l’expérience ; il sait que tout le reste est mensonge.
XLIII
Je ris quand j’entends dire que le poisson dans l’eau a soif.
Tu ne vois pas que le Réel est dans ta maison et tu erres insouciant de forêt en forêt.
Chez toi est la Vérité ! Va où tu veux, à Bénarès ou à Mathura : si tu ne trouves pas ton âme, le monde pour toi est sans réalité.
XLIV
La bannière cachée est plantée dans le temple du Ciel. Là le baldaquin d’azur orné de lune et serti de joyaux brillants est éployé.
Là brille la lumière du Soleil et de la lune. Apaise ton âme et contemple cette splendeur en silence.
Kabir dit : « Celui qui a bu de ce nectar tombe en délire. »
XLV
Qui es-tu et d’où viens-tu ?
Où réside l’Esprit suprême et comment peut-il se mêler à tous les jeux de la Création ?
Le feu est dans le bois ; mais qui le réveille soudain ? Le bois devient cendre et où va la force du feu ?
Le vrai Maître nous enseigne que l’Esprit n’a ni limite ni infinité.
Kabir dit : « Brahma adapte sa parole à l’intelligence de ses auditeurs. »
XLVI
Ô Saint ! purifie ton corps en toute simplicité.
Comme la graine est dans le bananier et que les fleurs, les fruits et l’ombre des feuilles sont dans la graine :
Ainsi le germe est dans le corps et dans ce germe le corps se retrouve.
Le feu, l’air, l’eau, la terre et l’éther ne sont pas en dehors de Lui.
Ô Kazi, ô Pundit, considère ceci : Qu’y a-t-il qui ne soit dans notre âme ?
La cruche pleine d’eau flotte sur l’eau ; elle contient l’eau et elle en est environnée.
On ne peut donner de nom à ceci de peur de réveiller l’erreur du dualisme.
Kabir dit : « Écoute le Mot, le Vrai, qui est ton essence. Il Se dit le mot à Lui-même et Lui-même est le Créateur. »
XLVII
Il est un arbre étrange qui se dresse sans racines et qui porte des fruits sans avoir fleuri.
Il n’a ni branches, ni feuilles ; c’est un pur Lotus.
Deux oiseaux y chantent : l’un est le Maître et l’autre est son disciple.
Le disciple choisit les nombreux fruits de la vie et les goûte ; le Maître le contemple avec joie.
Ce que Kabir dit est difficile à comprendre : « L’oiseau ne peut être atteint et cependant il est clairement visible. Le Sans-Forme est au sein de toutes formes. Je chante la gloire des formes. »
XLVIII
J’ai apaisé l’angoisse de mon âme et mon cœur est rayonnant : car, dans l’État où je suis, j’ai vu au delà de cet État. Comme un compagnon j’ai vu le suprême Camarade.
Vivant esclave je me suis libéré ; je me suis arraché aux griffes de toute étroitesse.
Kabir dit : « J’ai atteint l’inaccessible et mon cœur est coloré des couleurs de l’amour. »
XLIX
Ce que tu vois n’existe pas et, pour ce qui est, tu n’as pas de mots.
À moins de voir, tu ne crois pas ; ce qu’on te dit tu ne peux l’accepter.
Celui qui a du discernement apprend par les mots et l’ignorant reste bouche bée.
Certains contemplent l’informe et d’autres méditent sur la forme ; mais le sage sait que Brahma est au-dessus des deux.
La beauté de Brahma ne peut se voir par les yeux. Le rythme de Sa parole ne peut s’entendre par l’oreille.
Kabir dit : « Celui qui a trouvé à la fois l’amour et le sacrifice ne descend jamais à la mort. »
L
La flûte de l’Infini joue sans jamais s’arrêter et elle chante Son amour.
Quand l’amour renonce à toute limite, il atteint la Vérité.
Combien son parfum se répand au loin ! Il n’a pas de fin ; rien ne lui fait obstacle.
La forme de sa mélodie est brillante comme un million de soleils.
La vina fait vibrer incomparablement ses notes de vérité.
LI
Cher ami j’ai hâte de rencontrer mon Bien-Aimé !
Ma jeunesse a fleuri et la douleur d’être séparée de Lui oppresse mon sein.
J’erre sans but dans les allées du savoir ; pourtant j’ai reçu de Ses nouvelles dans ces allées du Savoir :
J’ai une lettre de mon Bien-Aimé ; dans cette lettre il y a un message ineffable et à présent je n’ai plus peur de la mort.
Kabir dit : « Ô mon cher ami ! J’ai reçu en présent l’Unique Immortel. »
LII
Quand je suis séparée de mon Bien-Aimé mon cœur est plein de tristesse. Je n’ai pas de repos pendant le jour ; je n’ai pas de sommeil pendant la nuit. À qui puis-je dire ma peine ?
La nuit est sombre. Les heures passent sans qu’il revienne. Parce que mon Seigneur est absent je tressaille et je tremble de peur.
Kabir dit : « Écoute, mon Amie ! il n’y a pas d’autre joie que celle de rencontrer le Bien-Aimé. »
LIII
Quelle est cette flûte dont la musique m’emplit de joie ?
La flamme brûle sans lampe ;
Le lotus fleurit sans racines.
Les fleurs s’épanouissent dans les cloîtres. L’oiseau de lune est dévoué à la Lune.
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