Lorsque Rosalie fut partie, ou censée partie, car elle resta pendant quelques instants dans le corridor, monsieur de Merret vint se placer devant sa femme, et lui dit froidement : ― Madame, il y a quelqu’un dans votre cabinet ! Elle regarda son mari d’un air calme, et lui répondit avec simplicité : ― Non, monsieur. Ce non navra monsieur de Merret, il n’y croyait pas ; et pourtant jamais sa femme ne lui avait paru ni plus pure ni plus religieuse qu’elle semblait l’être en ce moment. Il se leva pour aller ouvrir le cabinet, madame de Merret le prit par la main, l’arrêta, le regarda d’un air mélancolique, et lui dit d’une voix singulièrement émue : ― Si vous ne trouvez personne, songez que tout sera fini entre nous ! L’incroyable dignité empreinte dans l’attitude de sa femme rendit au gentilhomme une profonde estime pour elle, et lui inspira une de ces résolutions auxquelles il ne manque qu’un plus vaste théâtre pour devenir immortelles. ― Non, dit-il, Joséphine, je n’irai pas. Dans l’un et l’autre cas, nous serions séparés à jamais. Écoute, je connais toute la pureté de ton âme, et sais que tu mènes une vie sainte, tu ne voudrais pas commettre un péché mortel aux dépens de ta vie. À ces mots, madame de Merret regarda son mari d’un œil hagard. ― Tiens, voici ton crucifix, ajouta cet homme. Jure-moi devant Dieu qu’il n’y a là personne, je te croirai, je n’ouvrirai jamais cette porte. Madame de Merret prit le crucifix et dit : ― Je le jure. ― Plus haut, dit le mari, et répète : Je jure devant Dieu qu’il n’y a personne dans ce cabinet. Elle répéta la phrase sans se troubler. ― C’est bien, dit froidement monsieur de Merret. Après un moment de silence : ― Vous avez une bien belle chose que je ne connaissais pas, dit-il en examinant ce crucifix en ébène incrusté d’argent, et très-artistement sculpté. ― Je l’ai trouvé chez Duvivier, qui, lorsque cette troupe de prisonniers passa par Vendôme l’année dernière, l’avait acheté d’un religieux espagnol. ― Ah ! dit monsieur de Merret en remettant le crucifix au clou, et il sonna. Rosalie ne se fit pas attendre. Monsieur de Merret alla vivement à sa rencontre, l’emmena dans l’embrasure de la fenêtre qui donnait sur le jardin, et lui dit à voix basse : ― Je sais que Gorenflot veut t’épouser, la pauvreté seule vous empêche de vous mettre en ménage, et tu lui as dit que tu ne serais pas sa femme s’il ne trouvait moyen de s’établir maître maçon... eh ! bien, va le chercher, dis-lui de venir ici avec sa truelle et ses outils. Fais en sorte de n’éveiller que lui dans sa maison ; sa fortune passera vos désirs. Surtout sors d’ici sans jaser, sinon... Il fronça le sourcil. Rosalie partit, il la rappela. ― Tiens, prends mon passe-partout, dit-il. ― Jean, cria monsieur de Merret d’une voix tonnante dans le corridor. Jean, qui était tout à la fois son cocher et son homme de confiance, quitta sa partie de brisque, et vint. ― Allez vous coucher tous, lui dit son maître en lui faisant signe de s’approcher ; et le gentilhomme ajouta, mais à voix basse : ― Lorsqu’ils seront tous endormis, entends-tu bien ? tu descendras m’en prévenir. Monsieur de Merret, qui n’avait pas perdu de vue sa femme, tout en donant ses ordres, revint tranquillement auprès d’elle devant le feu, et se mit à lui raconter les événements de la partie de billard et les discussions du Cercle. Lorsque Rosalie fut de retour, elle trouva monsieur et madame de Merret causant très-amicalement. Le gentilhomme avait récemment fait plafonner toutes les pièces qui composaient son appartement de réception au rez-de-chaussée.
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