Le plâtre est fort rare à Vendôme, le transport en augmente beaucoup le prix ; le gentilhomme en avait donc fait venir une assez grande quantité, sachant qu’il trouverait toujours bien des acheteurs pour ce qui lui resterait. Cette circonstance lui inspira le dessein qu’il mit à exécution. ― Monsieur, Gorenflot est là, dit Rosalie à voix basse. ― Qu’il entre ! répondit tout haut le gentilhomme picard. Madame de Merret pâlit légèrement en voyant le maçon. ― Gorenflot, dit le mari, va prendre des briques sous la remise, et apportes-en assez pour murer la porte de ce cabinet ; tu te serviras du plâtre qui me reste pour enduire le mur. Puis attirant à lui Rosalie et l’ouvrier : ― Écoute, Gorenflot, dit-il à voix basse, tu coucheras ici cette nuit. Mais, demain matin, tu auras un passe-port pour aller en pays étranger dans une ville que je t’indiquerai. Je te remettrai six mille francs pour ton voyage. Tu demeureras dix ans dans cette ville ; si tu ne t’y plaisais pas, tu pourrais t’établir dans une autre, pourvu que ce soit au même pays. Tu passeras par Paris, où tu m’attendras. Là, je t’assurerai par un contrat, six autres mille francs qui te seront payés à ton retour au cas où tu aurais rempli les conditions de notre rnarché. À ce prix, tu devras garder le plus profond silence sur ce que tu auras fait ici cette nuit. Quant à toi, Rosalie, je te donnerai dix mille francs qui ne te seront comptés que le jour de tes noces, et à la condition d’épouser Gorenflot ; mais, pour vous marier, il faut se taire. Sinon, plus de dot. ― Rosalie, dit madame de Merret, venez me coiffer. Le mari se promena tranquillement de long en large, en surveillant la porte, le maçon et sa femme, mais sans laisser paraître une défiance injurieuse. Gorenflot fut obligé de faire du bruit. Madame de Merret saisit un moment où l’ouvrier déchargeait des briques et où son mari se trouvait au bout de la chambre, pour dire à Rosalie : ― Mille francs de rente pour toi, ma chère enfant, si tu peux dire à Gorenflot de laisser une crevasse en bas. Puis, tout haut, elle lui dit avec sang-froid : ― Va donc l’aider ! Monsieur et madame de Merret restèrent silencieux pendant tout le temps que Gorenflot mit à murer la porte. Ce silence était calcul chez le mari, qui ne voulait pas fournir à sa femme le prétexte de jeter des paroles à double entente ; et chez madame de Merret ce fut prudence ou fierté. Quand le mur fut à la moitié de son élévation, le rusé maçon prit un moment où le gentilhomme avait le dos tourné pour donner un coup de pioche dans l’une des deux vitres de la porte. Cette action fit comprendre à madame de Merret que Rosalie avait parlé à Gorenflot. Tous trois virent alors une figure d’homme sombre et brune, des cheveux noirs, un regard de feu. Avant que son mari ne se fût retourné, la pauvre femme eut le temps de faire un signe de tête à l’étranger pour qui ce signe voulait dire : ― Espérez ! À quatre heures, vers le petit jour, car on était au mois de septembre, la construction fut achevée. Le maçon resta sous la garde de Jean, et monsieur de Merret coucha dans la chambre de sa femme. Le lendemain matin en se levant, il dit avec insouciance : ― Ah ! diable, il faut que j’aille à la mairie pour le passe-port. Il mit son chapeau sur sa tête, fit trois pas vers la porte, se ravisa, prit le crucifix. Sa femme tressaillit de bonheur. ― Il ira chez Duvivier, pensa-t-elle.
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