Je n’étais pas le seul qui s’intéressât à cette histoire. Le soir même, quoiqu’il fût tard, toute la ville sut que j’allais à Merret. La femme de chambre répondit assez vaguement aux questions que je lui fis en chemin ; néanmoins, elle me dit que sa maîtresse avait été administrée par le curé de Merret pendant la journée, et qu’elle paraissait ne pas devoir passer la nuit. J’arrivai sur les onze heures au château. Je montai le grand escalier. Après avoir traversé de grandes pièces hautes et noires, froides et humides en diable, je parvins dans la chambre à coucher d’honneur où était madame la comtesse. D’après les bruits qui couraient sur cette dame (monsieur, je n’en finirais pas si je vous répétais tous les contes qui se sont débités à son égard !), je me la figurais comme une coquette. Imaginez-vous que j’eus beaucoup de peine à la trouver dans le grand lit où elle gisait. Il est vrai que, pour éclairer cette énorme chambre à frises de l’ancien régime, et poudrées de poussière à faire éternuer rien qu’à les voir, elle avait une de ces anciennes lampes d’Argant. Ah ! mais vous n’êtes pas allé à Merret ! Eh ! bien, monsieur, le lit est un de ces lits d’autrefois, avec un ciel élevé, garni d’indienne à ramages. Une petite table de nuit était près du lit, et je vis dessus une Imitation de Jésus-Christ, que, par parenthèse, j’ai achetée à ma femme, ainsi que la lampe. Il y avait aussi une grande bergère pour la femme de confiance, et deux chaises. Point de feu, d’ailleurs. Voilà le mobilier. Ça n’aurait pas fait dix lignes dans un inventaire. Ah ! mon cher monsieur, si vous aviez vu, comme je la vis alors, cette vaste chambre tendue en tapisseries brunes, vous vous seriez cru transporté dans une véritable scène de roman. C’était glacial, et mieux que cela, funèbre, ajouta-t-il en levant le bras par un geste théâtral et faisant une pause. À force de regarder, en venant près du lit, je finis par voir madame de Merret, encore grâce à la lueur de la lampe dont la clarté donnait sur les oreillers. Sa figure était jaune comme de la cire, et ressemblait à deux mains jointes. Madame la comtesse avait un bonnet de dentelles qui laissait voir de beaux cheveux, mais blancs comme du fil. Elle était sur son séant, et paraissait s’y tenir avec beaucoup de difficulté. Ses grands yeux noirs, abattus par la fièvre, sans doute, et déjà presque morts, remuaient à peine sous les os où sont les sourcils. ― Ça, dit-il en me montrant l’arcade de ses yeux. Son front était humide. Ses mains décharnées ressemblaient à des os recouverts d’une peau tendre ; ses veines, ses muscles se voyaient parfaitement bien ; elle avait dû être très-belle ; mais, en ce moment ! je fus saisi de je ne sais quel sentiment à son aspect. Jamais, au dire de ceux qui l’ont ensevelie, une créature vivante n’avait atteint à sa maigreur sans mourir. Enfin, c’était épouvantable à voir ! Le mal avait si bien rongé cette femme qu’elle n’était plus qu’un fantôme. Ses lèvres d’un violet pâle me parurent immobiles quand elle me parla. Quoique ma profession m’ait familiarisé avec ces spectacles en me conduisant parfois au chevet des mourants pour constater leurs dernières volontés, j’avoue que les familles en larmes et les agonies que j’ai vues n’étaient rien auprès de cette femme solitaire et silencieuse dans ce vaste château. Je n’entendais pas le moindre bruit, je ne voyais pas ce mouvement que la respiration de la malade aurait dû imprimer aux draps qui la couvraient, et je restai tout à fait immobile, occupé à la regarder avec une sorte de stupeur.
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