Mais l’état dans lequel la maison se trouve peut servir d’excuse à votre curiosité. Je ne demanderais pas mieux que de vous laisser libre d’aller et venir dans cette maison ; mais, chargé d’exécuter les volontés de la testatrice, j’ai l’honneur, monsieur, de vous prier de ne plus entrer dans le jardin. Moi-même, monsieur, depuis l’ouverture du testament, je n’ai pas mis le pied dans cette maison, qui dépend, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, de la succession de madame de Merret. Nous en avons seulement constaté les portes et fenêtres, afin d’asseoir les impôts que je paye annuellement sur des fonds à ce destinés par feu madame la comtesse. Ah ! mon cher monsieur, son testament a fait bien du bruit dans Vendôme ! Là, il s’arrêta pour se moucher, le digne homme ! Je respectai sa loquacité, comprenant à merveille que la succession de madame de Merret était l’événement le plus important de sa vie, toute sa réputation, sa gloire, sa Restauration. Il me fallait dire adieu à mes belles rêveries, à mes romans ; je ne fus donc pas rebelle au plaisir d’apprendre la vérité d’une manière officielle. ― Monsieur, lui dis-je, serait-il indiscret de vous demander les raisons de cette bizarrerie ? À ces mots, un air qui exprimait tout le plaisir que ressentent les hommes habitués à monter sur le dada, passa sur la figure du notaire. Il releva le col de sa chemise avec une sorte de fatuité, tira sa tabatière, l’ouvrit, m’offrit du tabac ; et, sur mon refus, il en saisit une forte pincée. Il était heureux ! Un homme qui n’a pas de dada ignore tout le parti que l’on peut tirer de la vie. Un dada est le milieu précis entre la passion et la monomanie. En ce moment, je compris cette jolie expression de Sterne dans toute son étendue, et j’eus une complète idée de la joie avec laquelle l’oncle Tobie enfourchait, Trim aidant, son cheval de bataille. ― Monsieur, me dit monsieur Regnault, j’ai été premier clerc de maître Roguin, à Paris. Excellente étude, dont vous avez peut-être entendu parler ? non ! cependant une malheureuse faillite l’a rendu célèbre. N’ayant pas assez de fortune pour traiter à Paris, au prix où les charges montèrent en 1816, je vins ici acquérir l’Étude de mon prédécesseur. J’avais des parents à Vendôme, entre autres une tante fort riche, qui m’a donné sa fille en mariage. ― Monsieur, reprit-il après une légère pause, trois mois après avoir été agréé par Monseigneur le Garde des Sceaux, je fus mandé un soir, au moment où j’allais me coucher (je n’étais pas encore marié), par madame la comtesse de Merret, en son château de Merret. Sa femme de chambre, une brave fille qui sert aujourd’hui dans cette hôtellerie, était à ma porte avec la calèche de madame la comtesse. Ah ! petit moment ! Il faut vous dire, monsieur, que monsieur le comte de Merret était allé mourir à Paris deux mois avant que je ne vinsse ici. Il y périt misérablement en se livrant à des excès de tous les genres. Vous comprenez ? Le jour de son départ, madame la comtesse avait quitté la Grande Bretèche et l’avait démeublée. Quelques personnes prétendent même qu’elle a brûlé les meubles, les tapisseries, enfin toutes les choses généralement quelconques qui garnissaient les lieux présentement loués par ledit sieur... (Tiens, qu’est-ce que je dis donc ? Pardon, je croyais dicter un bail.) Qu’elle les brûla, reprit-il, dans la prairie de Merret. Êtes-vous allé à Merret, monsieur ? Non, dit-il en faisant lui-même ma réponse. Ah ! c’est un fort bel endroit ! Depuis trois mois environ, dit-il en continuant après un petit hochement de tête, monsieur le comte et madame la comtesse avaient vécu singulièrement ; ils ne recevaient plus personne, madame habitait le rez-de-chaussée, et monsieur le premier étage. Quand madame la comtesse resta seule, elle ne se montra plus qu’à l’église. Plus tard, chez elle, à son château, elle refusa de voir les amis et amies qui vinrent lui faire des visites. Elle était déjà très-changée au moment où elle quitta la Grande Bretèche pour aller à Merret. Cette chère femme-là... (je dis chère, parce que ce diamant me vient d’elle, je ne l’ai vue, d’ailleurs, qu’une seule fois ! ) Donc, cette bonne dame était très-malade ; elle avait sans doute désespéré de sa santé, car elle est morte sans vouloir appeler de médecins ; aussi, beaucoup de nos dames ont-elles pensé qu’elle ne jouissait pas de toute sa tête. Monsieur, ma curiosité fut donc singulièrement excitée en apprenant que madame de Merret avait besoin de mon ministère.
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