Enfin, meurs tranquille, ma mère, va : je reviendrai riche, je ferai entrer notre petit à l’École Polytechnique, où je le dirigerai suivant ses goûts.
Un éclair de joie brilla dans les yeux à demi éteints de la mère, deux larmes en sortirent, roulèrent sur ses joues enflammées ; puis, un grand soupir s’échappa de ses lèvres, et elle faillit mourir victime d’un accès de joie, en trouvant l’âme du père dans celle de son fils devenu homme tout à coup.
― Ange du ciel, dit-elle en pleurant, tu as effacé par un mot toutes mes douleurs. Ah ! je puis souffrir. ― C’est mon fils, reprit-elle, j’ai fait, j’ai élevé cet homme !
Et elle leva ses mains en l’air et les joignit comme pour exprimer une joie sans bornes : puis elle se coucha.
― Ma mère, vous pâlissez ! s’écria l’enfant.
― Il faut aller chercher un prêtre, répondit-elle d’une voix mourante.
Louis réveilla la vieille Annette, qui, tout effrayée, courut au presbytère de Saint-Cyr.
Dans la matinée, madame Willemsens reçut les sacrements au milieu du plus touchant appareil. Ses enfants, Annette et la famille du closier, gens simples déjà devenus de la famille, étaient agenouillés. La croix d’argent, portée par un humble enfant de chœur, un enfant de chœur de village ! s’élevait devant le lit, et un vieux prêtre administrait le viatique à la mère mourante. Le viatique ! mot sublime, idée plus sublime encore que le mot, et que possède seule la religion apostolique de l’église romaine.
― Cette femme a bien souffert ! dit le curé dans son simple langage.
Marie Willemsens n’entendait plus ; mais ses yeux restaient attachés sur ses deux enfants. Chacun en proie à la terreur écoutait dans le plus profond silence les aspirations de la mourante, qui déjà s’étaient ralenties. Puis, par intervalles, un soupir profond annonçait encore la vie en trahissant un débat intérieur. Enfin, la mère ne respira plus. Tout le monde fondit en larmes, excepté Marie. Le pauvre enfant était encore trop jeune pour comprendre la mort. Annette et la closière fermèrent les yeux à cette adorable créature dont alors la beauté reparut dans tout son éclat. Elles renvoyèrent tout le monde, ôtèrent les meubles de la chambre, mirent la morte dans son linceul, la couchèrent, allumèrent des cierges autour du lit, disposèrent le bénitier, la branche de buis et le crucifix, suivant la coutume du pays, poussèrent les volets, étendirent les rideaux ; puis le vicaire vint plus tard passer la nuit en prières avec Louis, qui ne voulut point quitter sa mère. Le mardi matin l’enterrement se fit. La vieille femme, les deux enfants, accompagnés de la closière, suivirent seuls le corps d’une femme dont l’esprit, la beauté, les grâces avaient une renommée européenne, et dont à Londres le convoi eût été une nouvelle pompeusement enregistrée dans les journaux, une sorte de solennité aristocratique, si elle n’eût pas commis le plus doux des crimes, un crime toujours puni sur cette terre, afin que ces anges pardonnés entrent dans le ciel. Quand la terre fut jetée sur le cercueil de sa mère, Marie pleura, comprenant alors qu’il ne la verrait plus.
Une simple croix de bois, plantée sur sa tombe, porta cette inscription due au curé de Saint-Cyr.
CY GIT
UNE FEMME MALHEUREUSE,
morte à trente-six ans,
AYANT NOM AUGUSTA DANS LES CIEUX.
Priez pour elle !
Lorsque tout fut fini, les deux enfants vinrent à la Grenadière, jetèrent sur l’habitation un dernier regard ; puis, se tenant par la main, ils se disposèrent à la quitter avec Annette, confiant tout aux soins du closier, et le chargeant de répondre à la justice.
Ce fut alors que la vieille femme de charge appela Louis sur les marches de la pompe, le prit à part et lui dit : ― Monsieur Louis, voici l’anneau de madame !
L’enfant pleura, tout ému de retrouver un vivant souvenir de sa mère morte. Dans sa force, il n’avait point songé à ce soin suprême. Il embrassa la vieille femme. Puis ils partirent tous trois par le chemin creux, descendirent la rampe et allèrent à Tours sans détourner la tête.
― Maman venait par là, dit Marie en arrivant au pont.
Annette avait une vieille cousine, ancienne couturière retirée à Tours, rue de la Guerche. Elle mena les deux enfants dans la maison de sa parente avec laquelle elle pensait à vivre en commun. Mais Louis lui expliqua ses projets, lui rendit l’acte de naissance de Marie et les dix mille francs ; puis, accompagné de la vieille femme de charge, il conduisit le lendemain son frère au collége. Il mit le principal au fait de sa situation, mais fort succinctement, et sortit en emmenant son frère jusqu’à la porte. Là, il lui fit solennellement les recommandations les plus tendres en lui annonçant sa solitude dans le monde ; et, après l’avoir contemplé pendant un moment, il l’embrassa, le regarda encore, essuya une larme, et partit en se retournant à plusieurs reprises pour voir jusqu’au dernier moment son frère resté sur le seuil du collége.
Un mois après, Louis Gaston était en qualité de novice à bord d’un vaisseau de l’État, et sortait de la rade de Rochefort. Appuyé sur le bastingage de la corvette l’Iris, il regardait les côtes de France qui fuyaient rapidement et s’effaçaient dans la ligne bleuâtre de l’horizon. Bientôt il se trouva seul et perdu au milieu de l’Océan, comme il l’était dans le monde et dans la vie.
― Il ne faut pas pleurer, jeune homme ! il y a un Dieu pour tout le monde, lui dit un vieux matelot de sa grosse voix tout à la fois rude et bonne.
L’enfant remercia cet homme par un regard plein de fierté. Puis il baissa la tête en se résignant à la vie des marins. Il était devenu père.
Angoulême, août 1832.
COLOPHON
Ce volume est le quinzième de l’édition ÉFÉLÉ de la Comédie Humaine. Le texte de référence est l’édition Furne, volume 2 (1842), disponible à http://books.google.com/books?id=2YoTAAAAQAAJ. Les erreurs orthographiques et typographiques de cette édition sont indiquées entre crochets : « accomplissant [accomplisant] » Toutefois, les orthographes normales pour l’époque ou pour Balzac (« collége », « long-temps ») ne sont pas corrigées, et les capitales sont systématiquement accentuées.
Ce tirage au format EPUB est composé en Minion Pro et a été fait le 28 novembre 2010. D’autres tirages sont disponibles à http://efele.net/ebooks.
Cette numérisation a été obtenue en réconciliant :
― l’édition critique en ligne du Groupe International de Recherches Balzaciennes, Groupe ARTFL (Université de Chicago), Maison de Balzac (Paris) : http://www.paris.fr/musees/balzac/furne/presentation.htm
― l’ancienne édition du groupe Ebooks Libres et Gratuits : http://www.ebooksgratuits.org
― l’édition Furne scannée par Google Books : http://books.google.com
Merci à ces groupes de fournir gracieusement leur travail.
Si vous trouvez des erreurs, merci de les signaler à [email protected].
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