Les lézards du capitaine Van Toch, il ne les avait pas pris au sérieux un seul instant ; mais le capitaine pouvait être intéressant. Honnête, oui. Puis il connaît la situation là-bas. Un fou, bien sûr. Mais drôlement sympathique. Une petite corde fantasque se mit à vibrer dans le cœur de G. H. Bondy. Des vaisseaux chargés de perles et de café, des vaisseaux chargés d’épices et de tous les parfums de l’Arabie. G. H. Bondy ressentait cette tension qui s’emparait de lui avant toutes les décisions importantes et fructueuses ; un sentiment qu’on pourrait résumer ainsi : « Je ne sais pas pourquoi, mais je crois que j’y vais. »

Cependant, de ses pattes puissantes, le capitaine Van Toch dessinait dans l’air des bateaux avec des awning decks ou des quarter decks, des bateaux sensationnels, mon gars…

— Eh bien, vous savez ce que je vous propose, capitaine Van Toch, dit tout à coup G. H. Bondy, revenez dans quinze jours. On en reparlera, de votre bateau.

Captain Van Toch comprit tout le poids de ces paroles. Il rougit de joie et dit avec effort :

— Et alors, les lézards… je vais pouvoir les amener sur mon bateau ?

— Mais, oui. Seulement je vous en prie, n’en parlez à personne. On vous prendrait pour un fou… et moi aussi.

— Et les perles, je peux vous les laisser ?

— Oui.

 Ja, alors il faut que j’en choisisse deux, des perles, pour les envoyer à quelqu’un.

— À qui ?

— À deux espèces de rédacteurs, mon gars. Ja, bon sang, attends un peu.

— Qu’y a-t-il ?

Bon sang, comment s’appelaient-ils ? Le capitaine Van Toch clignait ses yeux bleu azur d’un air pensif. Oh, j’ai pas de tête, mon vieux. Je ne sais plus comment ils s’appelaient, ces deux boys.

V

Le capitaine Van Toch
et ses lézards apprivoisés

— Que le diable m’emporte, dit l’homme à Marseille, si ce n’est pas Jensen.

Le Suédois Jensen leva les yeux :

— Attends, ne dis rien. Je vais te remettre.

Il mit sa main sur son front :

— Seagull, non. Empress of India, non. Pernambouc, non. J’y suis : Vancouver. Il y a cinq ans, sur le Vancouver, Osaka-line, Frisco. Et tu t’appelles Dingle, vaurien, et tu es Irlandais.

L’homme découvrit ses dents jaunes et vint s’attabler avec Jensen :

— Right, Jensen. Et je bois tout ce qui est alcool. Et toi, d’où sors-tu ?

Jensen fit un mouvement de la tête :

— Maintenant, je fais Marseille-Saigon, et toi ?

— Je suis en vacances, se rengorgea Dingle. Alors je vais chez moi, voir combien il m’est venu d’enfants.

Jensen hocha gravement la tête :

— Ils t’ont encore vidé, hein ? Ivrognerie pendant le service, etc. Si tu allais au Y.M.C.A. comme moi, vieux, alors…,

Dingie fit une grimace en montrant ses dents :

— C’est ça, le Y.M.C.A. ?

— Puisque c’est samedi, grommela Jensen. Et toi, quel trajet tu faisais ?

— Sur une espèce de tramp, dit Dingle d’un ton évasif. Toutes sortes d’îles, là-bas.

— Capitaine ?

— Un certain Van Toch. Un Hollandais, ou quoi ?

Le Suédois Jensen réfléchit :

— Le capitaine Van Toch. Moi aussi, j’ai circulé avec lui, vieux frère. Bateau : Kandong Bandoeng. Trajet : au diable vauvert.