De cette manière, quand il était pris, on pouvait aisément rouler son fauteuil près de la table ou sur la terrasse. Il ouvrit sa porte, s’arrêta un instant encore, les jambes engourdies, travaillées de la sourde approche d’une crise, que la raideur de ses jointures lui annonçait depuis la veille. Décidément, il avait eu grand tort de manger du foie gras. Cette certitude, à présent, le désespérait.

– Bonne nuit, répéta-t-il d’une voix dolente. Vous dormez toujours, vous autres... Bonne nuit, ma mignonne. Repose-toi bien, c’est de ton âge.

– Bonne nuit, mon oncle, dit à son tour Pauline en l’embrassant.

La porte se referma. Madame Chanteau fit monter la petite la première. Lazare les suivait.

– Le fait est qu’on n’aura pas besoin de me bercer, ce soir, déclara la vieille dame. Et puis, moi, ça m’endort, ce vacarme, ça ne m’est pas désagréable du tout... À Paris, ça me manquait, d’être secouée dans mon lit.

Tous trois arrivaient au premier étage. Pauline, qui tenait sa bougie bien droite, s’amusait de cette montée à la file, chacun avec un cierge, dont la lumière faisait danser des ombres. Sur le palier, comme elle s’arrêtait, hésitante, ignorant où sa tante la conduisait, celle-ci la poussa doucement.

– Va devant toi... Voici une chambre d’ami, et en face voici ma chambre... Entre un moment, je veux te montrer.

C’était une chambre tendue d’une cretonne jaune à ramages verts, très simplement meublée d’acajou : un lit, une armoire, un secrétaire. Au milieu, un guéridon était posé sur une carpette rouge. Quand elle eut promené sa bougie dans les moindres coins, madame Chanteau s’approcha du secrétaire, dont elle rabattit le tablier.

– Viens voir, reprit-elle.

Elle avait ouvert un des petits tiroirs, où elle plaçait en soupirant l’inventaire désastreux de Davoine. Puis, elle vida un autre tiroir au-dessus, le sortit, le secoua pour en faire tomber d’anciennes miettes ; et, s’apprêtant à y enfermer les titres, devant l’enfant qui regardait :

– Tu vois, je les mets là, ils seront tout seuls... Veux-tu les mettre toi-même ?

Pauline éprouvait une honte, qu’elle n’aurait pu expliquer. Elle rougit.

– Oh ! ma tante, ce n’est pas la peine.

Mais déjà elle avait le vieux registre dans la main, et elle dut le déposer au fond du tiroir, tandis que Lazare, la bougie tendue, éclairait l’intérieur du meuble.

– Là, continuait madame Chanteau, tu es sûre maintenant, et sois tranquille, on mourrait de faim à côté... Souviens-toi, le premier tiroir de gauche. Ils n’en sortiront que le jour où tu seras assez grande fille pour les reprendre toi-même... Hein ? ce n’est pas la Minouche qui viendra les manger là-dedans.

Cette idée de la Minouche ouvrant le secrétaire et mangeant les papiers fit éclater l’enfant de rire. Sa gêne d’un instant avait disparu, elle jouait avec Lazare, qui, pour l’amuser, ronronnait comme la chatte, en feignant de s’attaquer au tiroir. Il riait aussi de bon cœur. Mais sa mère avait refermé solennellement le tablier, et elle donna deux tours de clef, d’une main énergique.

– Ça y est, dit-elle. Voyons, Lazare, ne fais pas la bête... À présent, je monte m’assurer s’il ne lui manque rien.

Et tous trois, à la file, se retrouvèrent dans l’escalier. Au second étage, Pauline, de nouveau hésitante, avait ouvert la porte de gauche, lorsque sa tante lui cria :

– Non, non, pas de ce côté ! c’est la chambre de ton cousin. Ta chambre est en face.

Pauline était restée immobile, séduite par la grandeur de la pièce et par le fouillis de grenier qui l’encombrait, un piano, un divan, une table immense, des livres, des images.