À cette heure, elle se trouvait dans son plein, chaque flot en s’écroulant ébranlait la maison. C’étaient comme des détonations d’une artillerie géante, des coups profonds et réguliers, au milieu de la déchirure des galets roulés sur les roches, qui ressemblait à un craquement continu de fusillade. Et, dans ce vacarme, le vent jetait le rugissement de sa plainte, la pluie par moments redoublait de violence, semblait fouetter les murs d’une grêle de plomb.
– C’est la fin du monde, murmura madame Chanteau. Et les Cuche, où vont-ils se réfugier ?
– Faudra bien qu’on les abrite, répondit Prouane. En attendant, ils sont déjà chez les Gonin... Si vous aviez vu ça ! le petit qui a trois ans, trempé comme une soupe ! et la mère en jupon, montrant tout ce qu’elle possède, sauf votre respect ! et le père, la tête à moitié fendue par une poutre, s’entêtant à vouloir sauver leur quatre guenilles !
Pauline avait quitté la table. Retournée près de la fenêtre, elle écoutait, avec une gravité de grande personne. Son visage exprima une bonté navrée, une fièvre de sympathie, dont ses grosses lèvres tremblaient.
– Oh ! ma tante, dit-elle, les pauvres gens !
Et ses regards allaient au-dehors, dans ce gouffre noir où les ténèbres s’étaient encore épaissies. On sentait que la mer avait galopé jusqu’à la route, qu’elle était là maintenant, gonflée, hurlante ; mais on ne la voyait toujours plus, elle semblait avoir noyé de flots d’encre le petit village, les rochers de la côte, l’horizon entier. C’était, pour l’enfant, une surprise douloureuse. Cette eau qui lui avait paru si belle et qui se jetait sur le monde !
– Je descends avec vous, Prouane, s’écria Lazare. Peut-être y a-t-il quelque chose à faire.
– Oh ! oui, mon cousin ! murmura Pauline dont les yeux brillaient.
Mais l’homme secoua la tête.
– Pas la peine de vous déranger, monsieur Lazare. Vous n’en feriez pas davantage que les camarades. Nous sommes là, à la regarder nous démolir tant que ça lui plaira ; et, quand ça ne lui plaira plus, eh bien ! nous aurons encore à la remercier... J’ai simplement voulu prévenir monsieur le maire.
Alors, Chanteau se fâcha, ennuyé de ce drame qui allait lui gâter sa nuit et dont il aurait à s’occuper le lendemain.
– Aussi, cria-t-il, on n’a pas idée d’un village bâti aussi bêtement ! Vous vous êtes fourrés sous les vagues, ma parole d’honneur ! ce n’est pas étonnant si la mer avale vos maisons une à une... Et, d’ailleurs, pourquoi restez-vous dans ce trou ? On s’en va.
– Où donc ? demanda Prouane, qui écoutait d’un air stupéfait. On est là, monsieur, on y reste... Il faut bien être quelque part.
– Ça, c’est une vérité, conclut madame Chanteau. Et, voyez-vous, là ou plus loin, on a toujours du mal... Nous montions nous coucher. Bonsoir. Demain, il fera clair.
L’homme s’en alla en saluant, et l’on entendit Véronique mettre les verrous derrière lui. Chacun tenait son bougeoir, on caressa encore Mathieu et la Minouche, qui couchaient ensemble dans la cuisine. Lazare avait ramassé sa musique, tandis que madame Chanteau serrait sous son bras les titres, dans le vieux registre. Elle reprit également sur la table l’inventaire de Davoine, que son mari venait d’y oublier. Ce papier lui crevait le cœur, il était inutile de le voir traîner partout.
– Nous montons, Véronique, cria-t-elle. Tu ne vas pas rôder, à cette heure !
Et, comme il ne sortait de la cuisine qu’un grognement, elle continua, à voix plus basse :
– Qu’a-t-elle donc ? Ce n’est pourtant pas une enfant à sevrer que je lui amène.
– Laisse-la tranquille, dit Chanteau. Tu sais qu’elle a ses lunes... Hein ? nous y sommes tous les quatre. Alors, bonne nuit.
Lui, couchait au rez-de-chaussée, de l’autre côté du couloir, dans l’ancien salon transformé en chambre à coucher.
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