Il avait des frissons et de la fièvre, une soif ardente le brûlait.
Cependant, Pauline venait de se glisser dans la chambre. Debout devant le lit, elle regardait son oncle, d’un air sérieux, sans pleurer.
Madame Chanteau perdait la tête, énervée par les cris. Véronique avait voulu arranger la couverture, dont le malade ne pouvait supporter le poids ; mais, lorsqu’elle s’était avancée avec ses mains d’homme, il avait crié davantage, lui défendant de le toucher. Elle le terrifiait, il l’accusait de le secouer comme un paquet de linge sale.
– Alors, monsieur, ne m’appelez pas, dit-elle en s’en allant furieuse. Quand on rebute les gens, on se soigne tout seul.
Lentement, Pauline s’était approchée ; et, de ses doigts d’enfant, avec une légèreté adroite, elle souleva la couverture. Il éprouva un court soulagement, il accepta ses services.
– Merci, petite... Tiens ! là, ce pli. Il pèse cinq cents livres... Oh ! pas si vite ! tu m’as fait peur.
Du reste, la douleur recommença plus intense. Comme sa femme tâchait de s’occuper dans la chambre, allait tirer les rideaux de la fenêtre, revenait poser une tasse sur la table de nuit, il s’irrita encore.
– Je t’en prie, ne marche plus, tu fais tout trembler... À chacun de tes pas, il me semble qu’on me donne un coup de marteau.
Elle n’essaya même point de s’excuser et de le satisfaire. Cela finissait toujours ainsi. On le laissait souffrir seul.
– Viens, Pauline, dit-elle simplement. Tu vois que ton oncle ne peut nous tolérer autour de lui.
Mais Pauline demeura. Elle marchait d’un mouvement si doux, que ses petits pieds effleuraient à peine le parquet. Et, dès ce moment, elle s’installa près du malade, il ne supporta personne autre dans la chambre. Comme il le disait, il aurait voulu être soigné par un souffle. Elle avait l’intelligence du mal deviné et soulagé, devançait ses désirs, ménageait le jour ou lui donnait des tasses d’eau de gruau, que Véronique apportait jusqu’à la porte. Ce qui apaisait surtout le pauvre homme, c’était de la voir sans cesse devant lui, sage et immobile au bord d’une chaise, avec de grands yeux compatissants qui ne le quittaient pas. Il tâchait de se distraire, en lui racontant ses souffrances.
– Vois-tu, en ce moment, c’est comme un couteau ébréché qui me désarticule les os du pied ; et, en même temps, je jurerais qu’on me verse de l’eau tiède sur la peau.
Puis, la douleur changeait : on lui liait la cheville avec un fil de fer, on lui raidissait les muscles jusqu’à les rompre, ainsi que des cordes de violon. Pauline écoutait d’un air de complaisance, paraissait tout comprendre, vivait sans trouble dans le hurlement de sa plainte, préoccupée uniquement de la guérison. Elle était même gaie, elle parvenait à le faire rire, entre deux gémissements.
Lorsque le docteur Cazenove arriva enfin, il s’émerveilla et posa un gros baiser sur les cheveux de la petite garde-malade. C’était un homme de cinquante-quatre ans, sec et vigoureux, qui après avoir servi trente ans dans la marine, venait de se retirer à Arromanches, où un oncle lui avait laissé une maison. Il était l’ami des Chanteau, depuis qu’il avait guéri madame Chanteau d’une foulure inquiétante.
– Eh bien ! nous y voilà encore, dit-il. Je suis accouru pour vous serrer la main. Mais vous savez que je n’en ferai pas plus que cette enfant. Mon cher, quand on a hérité de la goutte et qu’on a dépassé la cinquantaine, on doit en prendre le deuil. Ajoutez que vous vous êtes achevé avec un tas de drogues... Vous connaissez le seul remède : patience et flanelle !
Il affectait un grand scepticisme. Pendant trente ans, il avait vu agoniser tant de misérables, sous tous les climats et dans toutes les pourritures, qu’il était au fond devenu très modeste : il préférait le plus souvent laisser agir la vie.
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