Il me semble que si je pouvais avoir un centre de travail, j’obtiendrais des résultats bien plus sûrs.
Il regarda Bimala et lui demanda :
— N’est-ce pas aussi votre avis ?
Bimala hésita un moment, puis répondit :
— Les deux systèmes ont leurs bons côtés. Celui qui vous donnera le plus d’agrément est celui qui vous conviendra le mieux.
— Alors laissez-moi dire ce que je pense, dit Sandip. Je n’ai jamais trouvé de source d’inspiration qui me suffise. C’est pourquoi j’ai voyagé sans cesse de lieu en lieu, suscitant parmi le peuple des enthousiasmes qui me sont ensuite des sources d’énergie. Aujourd’hui vous m’avez apporté le message de ma patrie. Je n’ai jamais rencontré chez aucun homme la flamme qui vous dévore. Je vais pouvoir répandre par tout le pays la chaleur de l’enthousiasme que je vous emprunterai. Non, non, n’ayez aucune honte. Vous êtes bien au-dessus de la modestie et de la défiance. Vous êtes la reine abeille de notre ruche ; et nous, les travailleurs, nous nous réunirons autour de vous. Vous serez la source de notre inspiration.
Bimala rougit de timidité et d’orgueil ; et sa main trembla tandis qu’elle continuait à verser le thé.
Un autre jour mon maître me dit :
— Pourquoi n’allez-vous pas à Darjeeling pour changer d’air ? Vous paraissez souffrant. N’avez-vous pas eu assez de sommeil ?
Le soir je demandai à Bimala s’il lui plairait de faire une excursion dans les montagnes. Je savais qu’elle désirait depuis longtemps voir l’Himalaya. Mais elle refusa ; par amour de la patrie, je suppose !
Il ne faut pas que je perde ma foi. J’attendrai. Le passage est orageux qui mène du petit monde où elle a vécu au vaste monde où elle est désormais engagée. Quand elle se sera familiarisée avec cette liberté, je saurai ce qui me reste à faire. Si je m’aperçois que je n’entre pas dans le plan du vaste monde je ne bouderai pas le destin, mais je prendrai congé en silence… User de force ? Mais à quoi bon ? La force peut-elle prévaloir contre la vérité ?
RÉCIT DE SANDIP
I
L’homme important dit : ce qui m’a été dévolu est à moi, et l’homme faible approuve. Mais la grande leçon de toute l’histoire c’est : ce que je puis arracher aux autres m’appartient véritablement. Ma patrie n’est pas seulement à moi parce qu’elle est le lieu de ma naissance. Elle devient mienne le jour où je l’ai prise de force.
Tout homme a naturellement le droit de posséder : c’est pourquoi l’avidité est naturelle. La sagesse de la nature nous défend de nous accommoder de la privation. Ce que mon esprit convoite, il faut que mon entourage y supplée. Les idéaux moraux ne conviennent qu’à ces tristes créatures anémiques, aux désirs affamés, à l’étreinte débile. Ceux qui désirent de toute leur âme et jouissent de tout leur cœur, ceux qui n’ont ni hésitations ni scrupules, voilà les élus de la Providence. C’est pour eux que la nature étale ses trésors les plus riches et les plus aimables. Ils traversent le torrent à la nage, escaladent les murailles, enfoncent les portes et emportent tout ce qui est digne d’être pris. Il est doux de posséder de la sorte ; la violence qu’elle a coûtée rend la dépouille précieuse.
La nature se donne ; mais elle ne se donne qu’au voleur. Car elle se plaît au désir violent, à l’enlèvement, au rapt. Elle ne tresse pas la guirlande de son acceptation au col décharné de l’ascète.
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