– Exact. Nous sommes dans la maison Camden, qui est située
juste en face de notre ancien appartement.
– Mais pourquoi sommes-nous ici ?
– Parce que nous jouissons d’une vue excellente sur cette
chère vieille demeure si pittoresque. Puis-je vous prier, Watson,
de vous rapprocher davantage de la fenêtre, en prenant bien
garde toutefois à ne pas vous montrer, et de regarder notre ancien
logement, point de départ de tant d’aventures communes ! Vous
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verrez si mes trois ans d’absence m’ont ôté le pouvoir de vous
surprendre.
Je m’avançai à quatre pattes jusqu’à la fenêtre et regardai de
l’autre côté de la rue. Mes yeux remontèrent jusqu’à une fenêtre
bien connue, et je ne pus m’empêcher de pousser un cri de
stupéfaction. Le store était baissé ; à l’intérieur de la pièce, une
grosse lampe était allumée. L’ombre d’un homme assis sur une
chaise se détachait avec une netteté admirable sur l’écran
lumineux de la fenêtre. Il n’y avait pas moyen d’hésiter sur le port
de tête, la charpente des épaules, le profil aigu que produisait
cette ombre chinoise : c’était Holmes. Sous le coup de la surprise,
j’allongeai le bras pour être sûr que Holmes en chair et en os se
tenait bien à côté de moi. Il s’accorda un petit rire silencieux.
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– Alors ? me dit-il.
– C’est merveilleux !
– Je pense que l’âge n’a pas affaibli ni affadi mon sens
imaginatif ! fit-il d’une voix que je reconnus pour celle de l’artiste
fier de sa création. Est-ce que ça me ressemble, ou non ?
– J’aurais juré que c’était vous !
– Ce petit chef-d’œuvre est dû au talent de M. Oscar Meunier,
de Grenoble, qui a passé plusieurs jours à faire le moulage. Il
s’agit d’un buste en cire. J’ai complété la mise en scène cet après-
midi au cours de mon passage à Baker Street.
– Mais pourquoi ?
– Parce que, mon cher Watson, j’avais toutes les raisons du
monde pour faire croire à certaines personnes que j’étais là,
pendant que je me trouve réellement ailleurs.
– Et vous pensiez que l’appartement était surveillé ?
– Je savais qu’il était surveillé.
– Par qui ?
– Par mes vieux ennemis, Watson ! Par la bande charmante
dont le chef repose sous les chutes de Reichenbach. Rappelez-
vous qu’ils savaient, et eux seuls le savaient, que j’étais encore
vivant. Ils se disaient que tôt ou tard je reviendrais chez moi.
Aussi, ils ont monté une garde constante, et ce matin ils m’ont vu
arriver.
– Comment le savez-vous ?
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– Parce que j’ai reconnu une de leurs sentinelles quand j’ai
jeté un coup d’œil par la fenêtre. C’est un type assez inoffensif, qui
s’appelle Parker, étrangleur professionnel et remarquable joueur
de guimbarde. Je ne me suis pas soucié de lui. Mais je me suis
soucié bien davantage du formidable individu qui se tient derrière
lui, l’ami de cœur de Moriarty, l’homme qui a essayé de m’écraser
à coups de rochers, le criminel le plus rusé et le plus dangereux de
Londres. Voilà qu’il s’attaque à moi ce soir, Watson ; mais il ne
sait pas que nous, nous allons nous attaquer à lui.
Les plans de mon ami commençaient à acquérir de la
consistance dans mon esprit. De cet abri bien placé, les guetteurs
étaient guettés et les chasseurs pris en chasse.
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