Des femmes d’un haut rang dans le monde ne rougirent point de tramer en riant d’infâmes complots contre moi, et, dans la liberté de mœurs de la campagne, je fus attaquée de toutes les manières avec un acharnement de désirs qui ressemblait à de la haine. Il y eut des hommes qui promirent à leurs maîtresses de m’apprivoiser, et des femmes qui permirent à leurs amants de l’essayer. Il y eut des maîtresses de maison qui s’offrirent à égarer ma raison avec l’aide des vins de leurs soupers. J’eus des amis et des parents qui me présentèrent pour me tenter, des hommes dont j’aurais fait de très beaux cochers pour ma voiture. Comme j’avais eu l’ingénuité de leur ouvrir toute mon âme, elles savaient fort bien que ce n’était ni la piété, ni l’honneur, ni un ancien amour qui me préservait, mais bien la méfiance et un sentiment de répulsion involontaire ; elles ne manquèrent pas de divulguer mon caractère, et, sans tenir compte des incertitudes et des angoisses de mon âme, elles répandirent hardiment que je méprisais tous les hommes. Il n’est rien qui les blesse plus que ce sentiment ; ils pardonnent plutôt le libertinage que le dédain. Aussi partagèrent-ils l’aversion que les femmes avaient pour moi ; ils ne me recherchèrent plus que pour satisfaire leur vengeance et me railler ensuite. Je trouvai l’ironie et la fausseté écrites sur tous les fronts, et ma misanthropie s’en accrut chaque jour.

Une femme d’esprit eût pris son parti sur tout cela ; elle eût persévéré dans la résistance, ne fût-ce que pour augmenter la rage de ses rivales ; elle se fût jetée ouvertement dans la piété pour se rattacher à la société de ce petit nombre de femmes vertueuses qui, même en ce temps-là, faisaient l’édification des honnêtes gens. Mais je n’avais pas assez de force dans le caractère pour faire face à l’orage qui grossissait contre moi. Je me voyais délaissée, haïe, méconnue ; déjà ma réputation était sacrifiée aux imputations les plus horribles et les plus bizarres. Certaines femmes, vouées à la plus licencieuse débauche, feignaient de se voir en danger auprès de moi.

 

 

II

 

Sur ces entrefaites arriva de province un homme sans talent, sans esprit, sans aucune qualité énergique ou séduisante, mais doué d’une grande candeur et d’une droiture de sentiments bien rare dans le monde où je vivais. Je commençais à me dire qu’il fallait faire enfin un choix, comme disaient mes compagnes. Je ne pouvais pas me marier, étant mère, et, n’ayant confiance à la bonté d’aucun homme, je ne croyais pas avoir ce droit. C’était donc un amant qu’il me fallait accepter pour être au niveau de la compagnie où j’étais jetée. Je me déterminai en faveur de ce provincial, dont le nom et l’état dans le monde me couvraient d’une assez belle protection. C’était le vicomte de Larrieux.

Il m’aimait, lui, et dans la sincérité de son âme ! Mais son âme ! en avait-il une ? C’était un de ces hommes froids et positifs qui n’ont pas même pour eux l’élégance du vice et l’esprit du mensonge. Il m’aimait à son ordinaire, comme mon mari m’avait quelquefois aimée. Il n’était frappé que de ma beauté, et ne se mettait pas en peine de découvrir mon cœur. Chez lui ce n’était pas dédain, c’était ineptie. S’il eût trouvé en moi la puissance d’aimer, il n’eût pas su comment y répondre.

Je ne crois pas qu’il ait existé un homme plus matériel que ce pauvre Larrieux. Il mangeait avec volupté, il s’endormait sur tous les fauteuils, et le reste du temps il prenait du tabac. Il était ainsi toujours occupé à satisfaire quelque appétit physique. Je ne pense pas qu’il eût une idée par jour.

Avant de l’élever jusqu’à mon intimité, j’avais de l’amitié pour lui, parce que si je ne trouvais en lui rien de grand, du moins je n’y trouvais rien de méchant ; et en cela seul consistait sa supériorité sur tout ce qui m’entourait. Je me flattai donc, en écoutant ses galanteries, qu’il me réconcilierait avec la nature humaine, et je me confiai à sa loyauté. Mais à peine lui eus-je donné sur moi ces droits que les femmes faibles ne reprennent jamais, qu’il me persécuta d’un genre d’obsession insupportable, et réduisit tout son système d’affection aux seuls témoignages qu’il fût capable d’apprécier.

Vous voyez, mon ami, que j’étais tombée de Charybde en Scylla. Cet homme, qu’à son large appétit et à ses habitudes de sieste j’avais cru d’un sang si calme, n’avait même pas en lui le sentiment de cette forte amitié que j’espérais rencontrer. Il disait en riant qu’il lui était impossible d’avoir de l’amitié pour une belle femme. Et si vous saviez ce qu’il appelait l’amour !

Je n’ai point la prétention d’avoir été pétrie d’un autre limon que toutes les autres créatures humaines. À présent que je ne suis plus d’aucun sexe, je pense que j’étais alors tout aussi femme qu’une autre, mais qu’il a manqué au développement de mes facultés de rencontrer un homme que je pusse aimer assez pour jeter un peu de poésie sur les faits de la vie animale. Mais cela n’étant point, vous-même, qui êtes un homme, et par conséquent moins délicat sur cette perception de sentiment, vous devez comprendre le dégoût qui s’empare du cœur quand on se soumet aux exigences de l’amour sans en avoir compris les besoins.