Non, la vérité pour une fois est toute simple, Mme Blok a faim, elle a faim de savoir.

Mme Blok vit avec sa fille Diane. Et Diane qui est toujours par monts et par vaux — entendez au cinéma, au théâtre, chez des amis et Dieu sait dans quels autres lieux, partout où une jeune fille d’aujourd’hui ne craint pas de s’aventurer — Diane qui en sait sûrement plus long que sa mère, puisqu’elle danse, boit du thé, des cocktails, fait de la peinture, connaît des artistes, Diane ne parle pas. Elle expédie les repas en deux temps trois mouvements. La bouche ne s’ouvre que pour manger.

Aussi, sa pauvre mère ne sait-elle rien d’un monde que ses malheurs ont éloigné d’elle.

Il y a bien le cousin Bricoulet. Honoré Bricoulet. Il arrive le matin, vers dix heures, embrasse Mme Blok sur les deux joues, lui laisse entendre qu’un homme veuf (Mme Bricoulet a été ravie à l’affection de son cher Honoré il y aura bientôt dix ans) et une femme veuve (M. Blok s’est donné la mort voilà plus de deux lustres) peuvent faire un couple. Mme Blok s’attendrit. Bricoulet s’enquiert de l’état de sa fortune, chaque fois lui demande de nouveaux détails sur le suicide de M. Blok et ne se décide à lever le siège que lorsque Diane qui le déteste rentre pour le déjeuner et lui jette en guise de bonjour quelque bonne insolence.

Bricoulet parti, Mme Blok prend son courage à deux mains et réprimande sa fille.

« Tu n’as pas été aimable avec le cousin Honoré.

— Ce sale canard (Bricoulet parle du nez).

— Diane, tu es injuste.

— Il vous a sans doute encore dit des douceurs, s’est attendri, vous a demandée en mariage. Ma pauvre mère. Il en veut à nos quatre sous. C’est un avaricieux fieffé. Il tondrait un pou. »

Diane chantonne :

 

« Bricoucou, Bricoucou

Bricoulet

Tondrait

un poupou, un poupou

Bricoulet

Tondrait

un pou. »

 

Puis elle reprend : « Méfiez-vous du Bricoulet.

— Diane la colère t’égare.

— Ce n’est pas vous qui l’intéressez, mais vos malheurs. Il n’aime que la tristesse. Il a de drôles de goûts votre cher Honoré. On m’a dit qu’il adorait le mou de veau. Il fait le même repas que son chat. »

Diane ne s’arrêterait plus. Bricoulet l’inspire. Mme Blok est obligée de mettre un frein. Le plus triste est que le cousin s’est rendu compte de cette hostilité. Déjà ses visites se font plus rares. Et Mme Blok qui voulait lui demander quelques renseignements sur Mme Dumont-Dufour et surtout sur son invisible mari qu’Honoré a connu dès le collège. Elle eût aussi aimé qu’un homme d’expérience lui donnât son avis sur le fils de Mme Dumont-Dufour, Pierre Dumont, un gendre possible, puisqu’il est le meilleur ami de Diane et comme elle, fait de la peinture.

Mais Bricoulet s’est vengé sur la mère de l’inimitié de la fille et jusqu’à cet après-midi Mme Blok n’a rien su de Mme Dumont-Dufour avec laquelle, pourtant, elle a passé l’été dernier à la mer. Août, il est vrai, n’est pas le mois des confidences et il a fallu ce jour d’automne, dans un salon d’Auteuil tout gris et sans souvenir de robe blanche, pour que ces dames selon les propres termes de Mme Dumont-Dufour, se découvrissent sœurs de misère.

Or, parce que Mme Blok a l’imprudence d’avouer qu’elle s’ennuie quasi uniformément du 1er janvier à la Saint-Sylvestre, sans autre distraction que le concert Colonne, une fois par semaine en matinée le samedi après-midi, Mme Dumont-Dufour accumule des promesses de potins qui font monter des larmes aux yeux de sa sœur de misère, comme le fumet d’un bon plat, l’eau, à la bouche du gourmand.

Habile à juger d’un coup d’œil son public, après avoir découvert cet appétit elle a décidé d’attendre pour servir son régal. D’abord, quelques vérités premières en hors-d’œuvre. Mme Blok commence à se mordre les lèvres tandis que Mme Dumont-Dufour s’élève au-dessus des gens, des faits et des choses.

Rien ne saurait s’opposer à son ascension.

Le mot pitié tombe au milieu d’une phrase. Et c’est une petite dissertation.

La pitié par-ci, la pitié par-là, oui la pitié chère amie, la pitié… et Mme Dumont-Dufour d’affirmer que pas une minute elle n’en a oublié la pratique. Au reste comment vivre si on l’ignore. La perfection n’est pas de ce monde.