Russes blancs de chez Renault. On peut ainsi apprendre à obéir comme la matière, mais sans doute se fabriquaient-ils des passés et des avenirs proches et mensongers.

Morcellement du temps pour les criminels et les prostituées ; il en est de même des esclaves. C’est donc un caractère du malheur.

Le temps fait violence ; c’est la seule violence. Un autre te ceindra et te mènera où tu ne veux pas aller ; le temps mène où l’on ne veut pas aller. Qu’on me condamne à mort, on ne m’exécutera pas si, dans l’intervalle, le temps s’arrête. Quoi qu’il puisse arriver d’affreux, peut-on désirer que le temps s’arrête, que les étoiles s’arrêtent ? La violence du temps déchire l’âme : par la déchirure entre l’éternité.

Tous les problèmes se ramènent au temps.

Douleur extrême : temps non orienté : voie de l’enfer ou du paradis. Perpétuité ou éternité.

Ce ne sont pas la joie et la douleur qui s’opposent, mais les espèces de l’une et de l’autre. Il y a une joie et une douleur infernales, une joie et une douleur guérisseuses, une joie et une douleur célestes.

Par nature, nous fuyons la souffrance et cherchons le plaisir. C’est uniquement par-là que la joie sert a image au bien et la douleur d’image au mal. D’où l’imagerie du paradis et de l’enfer. Mais, en fait, plaisir et douleur sont des couples inséparables.

Souffrance, enseignement et transformation. Il faut, non pas que les initiés apprennent quelque chose, mais qu’il opère en eux une transformation qui les rende aptes à recevoir l’enseignement.

Pathos signifie à la fois souffrance (notamment souffrance jusqu’à la mort) et modification (notamment transformation en un être immortel).

La souffrance et la jouissance comme sources de savoir. Le serpent a offert la connaissance à Adam et à Ève. Les sirènes ont offert la connaissance à Ulysse. Ces histoires enseignent que l’âme se perd en cherchant la connaissance dans le plaisir. Pourquoi ? Le plaisir peut-être est innocent, à condition qu’on n’y cherche pas la connaissance. Il n’est permis de la chercher que dans la souffrance.

L’infini qui est dans l’homme est à la merci d’un petit morceau de fer ; telle est la condition humaine ; l’espace et le temps en sont cause. Impossible de manier ce morceau de fer sans réduire brusquement l’infini qui est dans l’homme à un point de la pointe, un point à la poignée, au prix d’une douleur déchirante. L’être tout entier est atteint un moment ; il n’y reste aucune place pour Dieu, même chez le Christ, où la pensée de Dieu n’est plus du moins que celle d’une privation. Il faut arriver jusque-là pour qu’il y ait incarnation. L’être tout entier devient privation de Dieu ; comment aller au-delà ? Il n’y a plus, après cela, que la résurrection. Pour aller jusque-là, il faut le contact froid du fer nu.

Il faut au contact du fer se sentir séparé de Dieu comme le Christ, sans quoi c’est un autre Dieu. Les martyrs ne te sentaient pas séparés de Dieu, mais c’était un autre Dieu et il valait mieux peut-être ne pas être martyr. Le Dieu où les martyrs trouvaient la joie dans les tortures ou la mort est proche de celui qui a été officiellement adopté par l’Empire et ensuite imposé par des exterminations.

Dire que le monde ne vaut rien, que cette vie ne vaut rien, et donner pour preuve le mal, est absurde, car si cela ne vaut rien, de quoi le mal prive-t-il ?

Ainsi la souffrance dans le malheur et 1a compassion pour autrui sont d’autant plus pures et plus intenses qu’on conçoit mieux la plénitude de la joie. De quoi est-ce que la souffrance prive celui qui est sans joie ?

Et si on conçoit la plénitude de la joie, la souffrance est encore à la joie comme la faim à la nourriture.

Il faut avoir eu par la joie la révélation de la réalité pour trouver la réalité dans la souffrance. Autrement la vie n’est qu’un rêve plus ou moins mauvais.

Il faut parvenir à trouver une réalité plus pleine encore dans la souffrance qui est néant et vide.

De même il faut aimer beaucoup la vie pour aimer encore davantage la mort.

LA VIOLENCE

La mort est ce oui a été donné de plus précieux à l’homme. C’est pourquoi l’impiété suprême est d’en mal user. Mal mourir. Mal tuer. (Mais comment échapper à la fois au suicide et au meurtre ?) Après la mort, l’amour. Problème analogue : ni mauvaise jouissance, ni mauvaise privation.