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L’âme heureusement captive
Sous ton joug trouve la paix,
Et s’abreuve d’une eau vive
Qui ne s’épuise jamais.
Chacun peut boire en cette onde,
Elle invite tout le monde ;
Mais nous courons follement
Chercher des sources bourbeuses,
Ou des citernes trompeuses
D’où l’eau fuit à tout moment.
Est-ce beau ! Jérôme, est-ce beau ! Vraiment trouves-tu cela aussi beau que moi ? Une petite note de mon édition dit que Mme de Maintenon, entendant chanter ce cantique par Mlle d’Aumale, parut dans l’admiration, « jeta quelques larmes » et lui fit répéter une partie du morceau. Je le sais à présent par cœur et ne me lasse pas de le réciter. Ma seule tristesse, ici, est de ne pas te l’avoir entendu lire.
Les nouvelles de nos voyageurs continuent à être fort bonnes. Tu sais déjà combien Juliette a joui de Bayonne et de Biarritz, malgré l’épouvantable chaleur. Ils ont depuis visité Fontarabie, se sont arrêtés à Burgos, ont traversé deux fois les Pyrénées… Elle m’écrit à présent du Monserrat une lettre enthousiaste. Ils pensent s’attarder dix jours encore à Barcelone avant de regagner Nîmes, où Édouard veut rentrer avant septembre, afin de tout organiser pour les vendanges.
Depuis une semaine, nous sommes, père et moi, à Fongueusemare, où Miss Ashburton doit venir nous rejoindre demain et Robert dans quatre jours. Tu sais que le pauvre garçon s’est fait refuser à son examen ; non point que ce fût difficile, mais l’examinateur lui a posé des questions si baroques qu’il s’est troublé ; je ne puis croire que Robert ne fût pas prêt, après ce que tu m’avais écrit de son zèle, mais cet examinateur, paraît-il, s’amuse à décontenancer ainsi les élèves.
Quant à tes succès, cher ami, je puis à peine dire que je t’en félicite, tant ils me paraissent naturels. J’ai si grande confiance en toi, Jérôme ! Dès que je pense à toi, mon cœur s’emplit d’espoir. Vas-tu pouvoir commencer dès maintenant le travail dont tu m’avais parlé ?…
… Ici rien n’est changé dans le jardin ; mais la maison paraît bien vide ! Tu auras compris, n’est-ce pas, pourquoi je te priais de ne pas venir cette année ; je sens que cela vaut mieux ; je me le redis chaque jour, car il m’en coûte de rester si longtemps sans te voir… Parfois, involontairement je te cherche ; j’interromps ma lecture, je tourne la tête brusquement… Il me semble que tu es là !
Je reprends ma lettre. Il fait nuit ; tout le monde dort ; je m’attarde à l’écrire, devant la fenêtre ouverte ; le jardin est tout embaumé ; l’air est tiède. Te souviens-tu, du temps que nous étions enfants, dès que nous voyions ou entendions quelque chose de très beau, nous pensions : Merci, mon Dieu, de l’avoir créé… Cette nuit, de toute mon âme je pensais : Merci, mon Dieu, d’avoir fait cette nuit si belle ! Et tout à coup je t’ai souhaité là, senti là, près de moi, avec une violence telle que tu l’auras peut-être senti.
Oui, tu le disais bien dans ta lettre : l’admiration, chez les âmes bien nées, se confond en reconnaissance… Que de choses je voudrais t’écrire encore ! – Je songe à ce radieux pays dont me parle Juliette. Je songe à d’autres pays plus vastes, plus radieux encore, plus déserts. Une étrange confiance m’habite qu’un jour, je ne sais comment, ensemble, nous verrons je ne sais quel grand pays mystérieux…
Sans doute imaginez-vous aisément avec quels transports de joie je lus cette lettre, et avec quels sanglots d’amour. D’autres lettres suivirent. Certes Alissa me remerciait de ne point venir à Fongueusemare, certes elle m’avait supplié de ne point chercher à la revoir cette année, mais elle regrettait mon absence, elle me souhaitait à présent ; de page en page retentissait le même appel. Où pris-je la force d’y résister ? Sans doute dans les conseils d’Abel, dans la crainte de ruiner tout à coup ma joie et dans un raidissement naturel contre l’entraînement de mon cœur.
Je copie, des lettres qui suivirent, tout ce qui peut instruire ce récit :
Cher Jérôme,
Je fonds de joie en te lisant. J’allais répondre à ta lettre d’Orvieto, quand, à la fois, celle de Pérouse et celle d’Assise sont arrivées. Ma pensée se fait voyageuse ; mon corps seul fait semblant d’être ici ; en vérité, je suis avec toi sur les blanches routes d’Ombrie ; avec toi je pars au matin, regarde avec un œil tout neuf l’aurore… Sur la terrasse de Cortone m’appelais-tu vraiment ? je t’entendais… On avait terriblement soif dans la montagne au-dessus d’Assise ! mais que le verre d’eau du Franciscain m’a paru bon ! Ô mon ami ! je regarde à travers toi chaque chose. Que j’aime ce que tu m’écris à propos de saint François ! Oui, n’est-ce pas, ce qu’il faut chercher c’est une exaltation et non point une émancipation de la pensée. Celle-ci ne va pas sans un orgueil abominable.
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