Parbleu ! Teissières me paraît bien le papillon qu’il faut pour s’y brûler…
– Laissons cela, lui dis-je, offusqué par ses plaisanteries. Venons au reste.
– Le reste ? fit-il… Tout le reste est pour toi. Plains-toi donc ! Pas une ligne, pas un mot que ta pensée n’emplisse. Autant dire que la lettre entière t’est adressée ; tante Félicie, en te la renvoyant, n’a fait que la retourner à son véritable destinataire ; c’est faute de toi qu’Alissa s’adresse à cette brave femme comme au premier pis aller ; qu’est-ce que peuvent bien lui faire, à ta tante, les vers de Corneille ! – qui, entre parenthèses, sont de Racine ; – c’est avec toi qu’elle cause, te dis-je ; c’est à toi qu’elle dit tout cela. Tu n’es qu’un niais si ta cousine, avant quinze jours, ne t’écrit pas tout aussi longuement, aisément, agréablement…
– Elle n’en prend guère le chemin !
– Il ne tient qu’à toi qu’elle le prenne ! Tu veux mon conseil ? – Ne souffle plus mot, d’ici… longtemps, d’amour ni de mariage entre vous ; ne vois-tu pas que, depuis l’accident de sa sœur, c’est à cela qu’elle en veut ? Travaille sur la fibre fraternelle et parle-lui de Robert inlassablement – puisque tu trouves la patience de t’occuper de ce crétin. Continue simplement d’amuser son intelligence ; tout le reste suivra. Ah ! si c’était à moi de lui écrire !…
– Tu ne serais pas digne de l’aimer.
Je suivis néanmoins le conseil d’Abel ; et bientôt en effet les lettres d’Alissa recommencèrent de s’animer ; mais je ne pouvais espérer de vraie joie de sa part, ni d’abandon sans réticences avant que la situation, sinon le bonheur de Juliette, fût assurée.
Les nouvelles qu’Alissa me donnait de sa sœur devenaient cependant meilleures. Son mariage devait se célébrer en juillet. Alissa m’écrivait qu’elle pensait bien qu’à cette date Abel et moi serions retenus par nos études… Je compris qu’elle jugeait préférable que nous ne parussions pas à la cérémonie, et, prétextant quelque examen, nous nous contentâmes d’envoyer nos vœux.
Quinze jours environ après ce mariage, voici ce que m’écrivit Alissa :
Mon cher Jérôme,
Juge de ma stupeur, hier, en ouvrant au hasard le joli Racine que tu m’as donné, d’y retrouver les quatre vers de ton ancienne petite image de Noël, que je garde depuis bientôt dix ans dans ma Bible.
Quel charme vainqueur du monde
Vers Dieu m’élève aujourd’hui ?
Malheureux l’homme qui fonde
Sur les hommes son appui !
Je les croyais extraits d’une paraphrase de Corneille, et j’avoue que je ne les trouvais pas merveilleux. Mais, continuant la lecture du IVe Cantique spirituel, je tombe sur des strophes tellement belles que je ne puis me retenir de te les copier. Sans doute tu les connais déjà, si j’en juge d’après les indiscrètes initiales que tu as mises en marge du volume (j’avais pris l’habitude en effet de semer mes livres et ceux d’Alissa de la première lettre de son nom, en regard de chacun des passages que j’aimais et voulais lui faire connaître).
N’importe ! c’est pour mon plaisir que je les transcris. J’étais un peu vexée d’abord de voir que tu m’offrais ce que j’avais cru découvrir, puis ce vilain sentiment a cédé devant ma joie de penser que tu les aimais comme moi. En les copiant, il me semble que je les relis avec toi.
De la sagesse immortelle
La voix tonne et nous instruit :
« Enfants des hommes, dit-elle,
De vos soins quel est le fruit ?
Par quelle erreur, âmes vaines,
Du plus pur sang de vos veines
Achetez-vous si souvent,
Non un pain qui vous repaisse,
Mais une ombre qui vous laisse
Plus affamés que devant ?
Le pain que je vous propose
Sert aux anges d’aliment ;
Dieu lui-même le compose
De la fleur de son froment.
C’est ce pain si délectable
Que ne sert point à sa table
Le monde que vous suivez.
Je l’offre à qui veut me suivre :
Approchez. Voulez-vous vivre ?
Prenez, mangez, et vivez.
. . . . . . . . . . . . . . . . .
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