Elle est là ce matin tout entière. J’ai maintenant la certitude qu’il viendra.
30 septembre.
Jérôme ! mon ami, toi que j’appelle encore mon frère, mais que j’aime infiniment plus qu’un frère… Combien de fois ai-je crié ton nom dans la hêtraie !… Sortant chaque soir, vers la tombée du jour, par la petite porte du potager, je descends l’avenue déjà sombre… Tu me répondrais soudain, tu m’apparaîtrais là, derrière le talus pierreux qu’avait hâte de contourner mon regard, ou bien je te verrais de loin, assis sur le banc, à m’attendre, mon cœur n’aurait pas un sursaut… au contraire, je m’étonne de ne pas te voir.
1er octobre.
Rien encore. Le soleil s’est couché dans un ciel incomparablement pur. J’attends. Je sais que bientôt, sur ce même banc, je serai assise avec lui… J’écoute déjà sa parole. J’aime tant à l’entendre prononcer mon nom… Il sera là ! Je mettrai ma main dans sa main. Je laisserai mon front s’appuyer contre son épaule. Je respirerai près de lui. Hier déjà, j’avais emporté quelques-unes de ses lettres pour les relire ; mais je ne les ai pas regardées, trop occupée par sa pensée. J’avais également pris sur moi la croix d’améthyste qu’il aimait et que je portais chaque soir, un des étés passés, aussi longtemps que je ne voulais pas qu’il partît.
Je voudrais lui remettre cette croix. Il y a longtemps déjà je faisais ce rêve : lui marié ; moi, marraine de sa première fille, une petite Alissa, à qui je donnais ce bijou… Pourquoi n’ai-je jamais osé le lui dire ?
2 octobre.
Mon âme est légère et joyeuse aujourd’hui comme un oiseau qui aurait fait son nid dans le ciel. C’est aujourd’hui qu’il doit venir ; je le sens, je le sais ; je voudrais le crier à tous ; j’ai besoin de l’écrire ici. Je ne veux plus cacher ma joie. Même Robert, si distrait d’ordinaire et si indifférent à moi, l’a remarquée. Ses questions m’ont troublée et je n’ai su quoi lui répondre. Comment vais-je attendre à ce soir ?…
Je ne sais quel transparent bandeau me présente partout agrandie son image et concentre tous les rayons de l’amour sur un seul point brûlant de mon cœur.
Oh ! que l’attente me fatigue !…
Seigneur ! entr’ouvrez un instant devant moi les larges vantaux du bonheur.
3 octobre.
Tout s’est éteint. Hélas ! il s’est échappé d’entre mes bras, comme une ombre. Il était là ! Il était là ! Je le sens encore. Je l’appelle. Mes mains, mes lèvres le cherchent en vain dans la nuit…
Je ne puis ni prier, ni dormir. Je suis ressortie dans le jardin sombre. Dans ma chambre, dans toute la maison, j’avais peur ; ma détresse m’a ramenée jusqu’à la porte derrière laquelle je l’avais laissé ; j’ai rouvert cette porte avec une folle espérance ; s’il était revenu ! J’ai appelé. J’ai tâtonné dans les ténèbres. Je suis rentrée pour lui écrire. Je ne peux accepter mon deuil.
Que s’est-il donc passé ? Que lui ai-je dit ? Qu’ai-je fait ? Quel besoin devant lui d’exagérer toujours ma vertu ? De quel prix peut être une vertu que mon cœur tout entier renie ? Je mentais en secret aux paroles que Dieu proposait à mes lèvres… De tout ce qui gonflait mon cœur, rien n’est sorti. Jérôme ! Jérôme, mon ami douloureux près de qui mon cœur se déchire, et loin de qui je meurs, de tout ce que je te disais tantôt, n’écoute rien que ce qui te racontait mon amour.
Déchiré ma lettre ; puis récrit… Voici l’aube ; grise, mouillée de pleurs, aussi triste que ma pensée… J’entends les premiers bruits de la ferme et tout ce qui dormait reprend vie… « À présent levez-vous. Voici l’heure… »
Ma lettre ne partira pas.
5 octobre.
Dieu jaloux, qui m’avez dépossédée, emparez-vous donc de mon cœur. Toute chaleur désormais l’abandonne et rien ne l’intéressera plus. Aidez-moi donc à triompher de ce triste restant de moi-même. Cette maison, ce jardin encouragent intolérablement mon amour.
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