La Séquestrée de Poitiers

André Gide

La séquestrée de
Poitiers

suivi de

L’affaire Redureau

Gallimard

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous les pays.

© Éditions Gallimard, 1930.

André Gide (1869-1951), prix Nobel, a été toute sa vie préoccupé par le problème de la justice. En 1912, il avait été désigné comme juré et avait siégé du 13 au 25 mai à la Cour dassises de Rouen. Il a rapporté ses impressions dans les Souvenirs de la Cour d’assises.

En 1930, toujours préoccupé par le problème de la justice et de la vérité, il fonde à la N.R.F. une collection au titre éloquent : « Ne jugez pas. » Il se propose d’exposer une documentation « autant que possible authentique » sur des affaires échappant aux règles de la psychologie traditionnelle et déconcertante pour la justice.

Le premier dossier réuni par André Gide est celui de La Séquestrée de Poitiers : le 22 mai 1901, le procureur général de Poitiers apprenait par une lettre anonyme que Mlle Mélanie Bastian, âgée de cinquante-deux ans, était enfermée depuis vingt-cinq ans chez sa mère (veuve de l’ancien doyen de la Faculté des Lettres de Poitiers) dans une chambre sordide, où elle vivait parmi les ordures dans l’obscurité la plus complète. Comment cette affaire, où la culpabilité de Mme Bastian et de son fils semblait évidente, put-elle aboutir à un acquittement des inculpés ? L’exposé d’André Gide permet de comprendre cette décision et éclaire magistralement cette affaire qui est devenue légendaire. Qui n’a entendu répéter l’expression inventée par la séquestrée : le « Cher Grand Fond Malampia » ?

Le second dossier est celui de L’Affaire Redureau : le 13 septembre 1913, le jeune Marcel Redureau, âgé de quinze ans et domestique au service des époux Mabit, cultivateurs en Charente-Inférieure, assassinait toute la famille Mabit et leur servante : en tout sept personnes. Pourquoi cet enfant docile et doux, reconnu parfaitement sain de corps et d’esprit, né de parents sains et honnêtes, a-t-il commis ces crimes ?

La séquestrée de Poitiers

« … j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. »

Pascal, Pensées, p. 94 (éd. Massis).

« Il suffit, bien souvent, de l’addition d’une quantité de petits faits très simples et très naturels, chacun pris à part, pour obtenir un total monstrueux. »

Les Faux-Monnayeurs, I, 4, p. 51.

Mme Blanche Monnier de Marconnay, mère de la séquestrée. (Photo L’Illustration.)


1000000000000228000002B70627C7A8.webp

Le frère de la séquestrée, Marcel Monnier, (Photo L’Illustration.)

1000000000000230000002C8C0927D1B.webp

Les deux bonnes dans le jardin de Mme Monnier.
(Photo L’Illustration)

1000000000000230000002D420F24C14.webp

La maison des Monnier, rue de la Visitation à Poitiers. (Photo L’Illustration)

1000000000000228000002F80368A85E.webp

Blanche Monnier, la séquestrée de Poitiers.
Photographie prise à son arrivée à l’hôpital. (Photo L’Illustration.)

100000000000023D0000034967CDFAAC.webp

Blanche Monnier à l’hôpital. On lui a coupé les cheveux.
(Archives René Dazy.)

10000000000001890000022871B21968.webp

Blanche Monnier en convalescence. Supplément du Petit Journal Illustré. (Collection Jean Henry.)

1000000000000265000003157889E882.webp

Croquis d’audience au procès de la « Séquestrée » au tribunal correctionnel de Poitiers. De gauche à droite : Juliette Dupuy, le président Fontant, Eugénie Tabeau, une bonne, M. Marcel Monnier, frère de la séquestrée, l’abbé de Mondion, aumônier de l’Hôtel-Dieu de Poitiers. (Photo L’Illustration.)

100000000000027F0000033F0D377781.webp

La recluse de Poitiers, chanson de Léo Lelièvre et Émile Spencer. (Collection jean Henry.)

10000000000002540000037FC3830CF1.webp

« La recluse de Poitiers, grande complainte sur la pauvre femme séquestrée. » Feuille de colportage. (Archives René Dazy.)

10000000000002A00000037769E7B2EE.webp

La rencontre de Latude et de Blanche Monnier.
L’Assiette au Beurre du 20 septembre 1902. (Archives René Dazy.)

10000000000002B40000037D48706913.webp

AVANT-PROPOS

J’ai quelque scrupule à signer la relation de cette singulière histoire. Dans l’exposé tout impersonnel que je vais en faire, je n’eus souci que de mettre en ordre les documents que j’ai pu recueillir, et de m’effacer devant eux.

Voici comment La Vie illustrée présentait à ses lecteurs, en 1901, l’étrange affaire qui va nous occuper :

LES DRAMES CACHÉS.
LA SÉQUESTRÉE DE POITIERS.

« À Poitiers, dans une rue calme et paisible, au nom monacal, la rue de la Visitation, vivait, universellement honorée dans la région, une famille de haute bourgeoisie. Mme veuve Bastian (1) née de Chartreux, de lignée poitevine fort aristocratique, habitait là avec son fils, M. Pierre Bastian, ancien sous-préfet de Puget-Théniers, au Seize-Mai. Mme Bastian de Chartreux, âgée de soixante-quinze ans, demeurait dans la maison où elle avait vécu avec son mari, ancien doyen de la Faculté des Lettres de la vieille cité provinciale. Son fils, marié à une Espagnole, de tempérament moins calme que le sien, était revenu seul à Poitiers. Il habitait dans l’immeuble qui fait face à celui de sa mère. Un troisième personnage appartenait à cette famille, une fille, Mélanie, qu’on avait vue enjouée et rieuse jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, et qui, brusquement, avait disparu. Maladie mentale, disait-on. Mme Bastian de Chartreux l’avait internée, dès l’abord, dans une maison de santé, puis, par dévouement, par charité chrétienne, elle la reprenait et la soignait, toute d’abnégation, avec le concours d’une vieille bonne, par-delà les volets clos de la maison douloureuse dont personne ne franchissait plus le seuil. Même, la vieille bonne, Mme Renard, restée quarante ans chez ses patrons, avait obtenu, il y a six ans, sur la demande de M. Pierre Bastian qui, lui aussi, respectueux de son demi-sang bleu, se faisait appeler de Chartreux, une médaille de la Société de l’Encouragement au Bien.