Il s’entendait bien avec la patronne et la jeune servante. Depuis les vendanges seulement, le patron parlait fort quelquefois et lui disait des injures. Il nie formellement le propos que lui attribue le témoin Ch…, duquel il résulterait qu’il éprouvait depuis longtemps pour eux du ressentiment et nourrissait des idées de vengeance à leur égard.

« Nous insistons beaucoup pour savoir si, dans la journée du crime, il n’avait pas fait quelque excès inusité de vin, pour soutenir ses forces. Il résulte de ses réponses, provoquées à diverses reprises et demeurées invariables, qu’il n’a pris du vin qu’aux heures réglementaires des repas et en quantité normale, environ deux verres chaque fois ; c’était du vin rouge. Avant de souper seulement, il a bu, avec son patron, deux coups de vin blanc bouché. Ce renseignement est conforme aux données fournies par l’instruction. On a en effet trouvé dans le cellier une bouteille de vin blanc à laquelle manquait un tiers de son contenu. Il affirme donc, et nous croyons que la chose peut être tenue pour exacte, qu’il n’était pas sous l’influence d’une excitation alcoolique au moment du drame.

« En ce qui concerne le crime, ses explications sont invariables. Son patron Mabit et lui faisaient fonctionner le pressoir. Mabit était à la barre et Redureau sur la plate-forme pour réparer la vis. Comme il n’arrivait pas assez vite à exécuter le travail commandé, le patron lui fit une scène, lui criant « “qu’il était un maladroit, un feignant, que depuis huit jours il ne travaillait pas bien. C’est alors qu’il descendit du pressoir et que, s’armant du pilon qui était à sa portée, il porta à Mabit, par-derrière, des coups sur la tête. Mabit lâcha la barre et tomba sur le sol. Comme il poussait des gémissements, Redureau, après l’avoir un instant regardé, saisit le couteau à raisins (longue et large lame très aiguisée, longue de 65 centimètres et large de 13, pesant environ 2 kg 500) et lui coupa la gorge.

« Ensuite, il prit la lanterne et se dirigea vers la maison où il croyait trouver tout le monde couché. Mais, en arrivant dans la cuisine, il vit Mme Mabit et la domestique qui étaient à travailler auprès de la table. Il eut d’abord l’intention de fuir, mais la patronne lui ayant demandé où était son mari, il sortit sans répondre, alla s’emparer du couteau à raisins resté dans le cellier, rentra et en frappa la domestique d’abord, ensuite Mme Mabit ; elles lui tournaient le dos ; elles n’ont pas eu le temps de parler ; elles n’ont crié qu’au moment où elles ont été frappées. “J’ai, dit-il, frappé la domestique au cou ; elle est tombée tout de suite, et j’ai frappé la patronne également au cou et elle est tombée. Lorsqu’elle a été à terre, je lui ai donné un coup de couteau dans le ventre.” Dans les deux chambres voisines, la grand-mère couchée dans l’une et trois des enfants couchés dans l’autre, réveillés par le bruit, se mirent à crier. Alors il prit sa lanterne, alla d’abord dans celle de la grand-mère qu’il frappa à la gorge : “Elle n’a rien dit ; elle n’a pas eu le temps.” Il passa ensuite dans l’autre chambre : “J’ai porté un coup à la gorge de l’une des fillettes qui criait, et sa sœur, qui était couchée auprès d’elle, s’étant réveillée à ce moment, je lui ai également porté un coup de couteau. L’enfant qui était couché dans son berceau ayant été réveillé par le bruit se mit à crier aussi ; alors je l’ai tué  (19)  ” Le manche de l’outil, au dernier coup, se cassa. Redureau en reporta les morceaux dans le cellier, près du pressoir, où ils furent retrouvés. Un petit garçon, qui était couché dans la cuisine, échappa seul à la boucherie.

« L’explication que l’inculpé donne de cet horrible drame a toujours été la même : pour le patron, il a cédé à une violente colère. Une fois le meurtre accompli, quand il revint à la maison, il était très ému, ne sachant trop ce qu’il faisait. Quand la patronne lui demanda où était son mari, il perdit la tête. L’idée lui vint qu’elle allait aller dans le cellier et découvrir son crime, alors il voulut en faire disparaître tous les témoins.

« Voici ses réponses textuelles : “J’avais peur que la patronne vienne voir son mari dans le cellier…, j’ai frappé la domestique parce qu’elle était avec la patronne…, j’ai frappé les autres parce qu’ils criaient.” La véracité de ces réponses semble corroborée par la suivante, qui en atteste la sincérité : “Je n’ai pas touché au petit Pierre parce qu’il n’a rien dit et qu’il dormait.

« Au sujet de la multiplicité et de la violence des coups portés aux victimes (crânes fracassés, faces et cous hachés, colonnes vertébrales sectionnées), il ne peut fournir aucune explication ; il ne peut dire non plus pourquoi il a ouvert le ventre de la femme Mabit qui était près d’accoucher. Il proteste seulement qu’il n’a obéi à aucune pensée obscène ou sadique. Cet acte est de même nature que les autres et ne relève que de la colère.

« Lorsqu’il eut déposé le couteau et son manche brisé dans le cellier, il monta à sa chambre et s’assit. Peu à peu il reprit son sang-froid et comprit la gravité de ce qu’il venait de faire. Alors il en eut regret. “J’ai eu des remords, dit-il, et j’ai voulu me suicider.” Il y avait une heure environ qu’il était dans sa chambre quand il en descendit pour aller se noyer dans un étang à cinquante mètres de la maison.