Encore n’y a-t-il pas sur ce point unanimité. L’instituteur, bien placé cependant pour apprécier le caractère d’un enfant qu’il a pu suivre pendant cinq ou six années, n’a pas remarqué qu’il fût sournois ; de même son père s’est refusé à reconnaître “qu’il fût sournois et rancunier.

« Une remarque faite par Mme Br…, l’un des témoins précédemment cités, est qu’il lisait beaucoup, sans qu’elle pût dire quelles lectures il faisait. Le témoin J…, dans sa déposition : “J’ai appris seulement aujourd’hui qu’il se livrait à de mauvaises lectures”, n’était sans doute que l’écho du témoin précédent. Nous avons pu nous rendre compte, d’ailleurs, que cette particularité n’était pas de nature à retenir notre attention et que les lectures de Redureau se bornaient à un journal régional et à l’almanach. Jamais, notamment, il n’a lu de ces romans populaires dont la matière favorite se compose d’histoires de crimes et d’assassinats.

« Redureau avait quinze ans et quatre mois le jour où il a commis les meurtres qui lui sont reprochés. C’est un garçon d’une taille de 1 m 84, d’aspect bien portant, d’apparence normale, sans signes patents de dégénérescence. Il n’y a aucune déformation du crâne ni de la voûte palatine. Les oreilles sont bien conformées. Le cœur et les poumons sont sains ; la rate et le foie de dimensions normales. Le système musculaire est assez bien développé ; la motilité, en général, ne présente aucun trouble. La sensibilité générale, sous ses différents modes, toucher, douleur, chaud, froid, est intacte. Les organes des sens ne sont le siège d’aucune anomalie ; notamment le sens des couleurs n’est pas altéré. Les réflexes examinés selon la méthode clinique habituelle répondent à l’état physiologique.

« Son attitude devant nous est celle d’un enfant intimidé. On a de la peine à lui faire lever les yeux. Il parle d’abord à voix basse et presque uniquement par monosyllabes ; mais, en insistant, on obtient des réponses plus explicites. Le personnel de la maison d’arrêt, pendant sa longue détention, n’a rien remarqué chez lui d’insolite au point de vue mental, sinon qu’il prend facilement une attitude renfrognée et boudeuse lorsqu’on lui fait quelque observation. Il participe à la vie commune et se plie à la règle comme les autres détenus.

« Sa sensibilité morale n’est pas troublée. Il verse des larmes quand on évoque le souvenir de sa mère ou de l’un de ses frères qui vient de partir en Algérie pour faire son service militaire. Au sujet des actes qu’il a commis, il exprime des regrets qui paraissent sincères. Nous verrons plus loin qu’il n’ignore pas le remords.

« Il répond pertinemment à toutes les questions que nous lui posons. Il est bien orienté dans le temps et dans l’espace. Il fait preuve, dans ses paroles, d’intelligence et de bonnes connaissances primaires relativement à l’histoire, la géographie, la grammaire et le calcul. Toutes les réponses qu’il nous fait au sujet de sa vie passée, de ses patrons, de son travail, de ses salaires, sont exactes ou plausibles.

« Il n’a jamais été porté aux excès de boisson et ne s’est jamais mis en ribote, de sorte qu’on ne peut dire comment il serait, s’il s’enivrait par hasard. Il fréquentait les garçons de son âge et se rencontrait avec eux le dimanche pour jouer aux cartes ; les gains ou les pertes ne dépassaient pas dix sous. Il n’allait pas au cabaret.

« Il n’a jamais fréquenté les filles et n’a jamais eu de rapports sexuels. Il était camarade avec la jeune domestique de ses patrons, mais il n’éprouvait pour elle aucun sentiment particulier et ne l’a jamais courtisée.

« Il n’a jamais ressenti de préoccupations émotives et n’a jamais eu ni obsessions, ni idées fixes. Quelles que soient nos questions dans cet ordre d’idées, nous n’obtenons que des réponses absolument négatives.

« Cependant, particularité déjà signalée par son père, il reconnaît qu’il est peureux. Le soir, il redoute l’obscurité et ne sait s’il serait capable d’aller la nuit faire une commission loin de son domicile. Si on lui en eût donné l’ordre, “il n’aurait pas voulu y aller c’est une impression vague, indéfinie, qui n’a rien d’électif ni de systématisé, ni qui réponde à ce qu’on désigne en psychiatrie sous le nom de phobie ; il ne croit pas aux revenants, il n’aurait pas peur de passer près d’un cimetière, il ne craint pas les sorciers et n’en connaît pas dans son pays. En un mot, il est peureux purement et simplement, d’une façon peut-être excessive pour un garçon de son âge, mais si c’est là un indice de nervosité, ce n’est pas un signe relevant de la pathologie.

« Interrogé sur ses sentiments vis-à-vis de son patron et de sa famille, il déclare formellement n’avoir jamais eu à se plaindre d’eux ni nourri vis-à-vis d’eux des sentiments de rancune ni de haine.