Dehors, il y avait Vénus à la fourrure, telle qu’elle m’était apparue la première fois.

« Vous m’avez rendue nerveuse avec vos histoires, je me tourne et me retourne dans ma couche et ne parviens à m’endormir, dit-elle. Venez donc me tenir compagnie.

— Tout de suite. »

Lorsque j’entrai, Wanda se tenait accroupie devant la cheminée où elle avait allumé un petit feu.

« L’automne s’annonce, commença-t-elle, les nuits sont déjà très fraîches. Je crains de vous déplaire, mais je ne peux me défaire de ma fourrure, la chambre n’est pas assez chaude.

— Me déplaire… Polissonne ! Vous savez bien… » Je l’enlaçai et l’embrassai.

« Bien sûr que je sais ! Mais d’où vous vient ce grand amour pour les fourrures ?

— Je suis né ainsi, répondis-je, alors enfant, je les aimais déjà. Au demeurant, les fourrures exercent sur toutes les personnalités nerveuses un effet stimulant. Celui-là repose sur les lois générales de la nature. C’est un attrait physique, étrangement piquant, auquel personne ne peut tout à fait se dérober. La science a récemment prouvé une parenté certaine entre électricité et chaleur, de même que sont proches leurs effets sur l’organisme humain. Les zones chaudes produisent les hommes les plus passionnés, une atmosphère brûlante engendre l’excitation. Il en va de même pour l’électricité. C’est de là que provient l’influence envoûtante, si bénéfique, de la compagnie des chats sur les êtres irritables et spirituels – c’est ainsi que ces gracieux animaux à queue longue, ces ravissantes batteries électriques productrices de petites ondes, sont devenues les favoris d’un Mahomet76, d’un Richelieu77, d’un Crébillon78, d’un Rousseau79, d’un Wieland80.

— Ainsi, une femme qui porte une fourrure, s’écria Wanda, n’est rien d’autre qu’un gros chat, qu’une batterie électrique plus puissante ?

— Certainement, répondis-je, et c’est ainsi que je m’explique la signification symbolique de la fourrure comme attribut du pouvoir et de la beauté. Raison pour laquelle les monarques de jadis ainsi que la noblesse dirigeante se sont arrogé le droit exclusif de porter des fourrures, raison pour laquelle les grands peintres les réservaient à leurs reines de beauté. Ainsi, ni Raphaël81 pour les formes divines de la Fornarina, ni Titien82 pour le corps rosé de sa dulcinée n’ont trouvé écrin plus exquis qu’une fourrure sombre.

— Merci pour cette savante leçon d’érotisme, fit Wanda, mais vous ne m’avez pas encore tout dit, vous avez un lien bien singulier avec les fourrures.

— Assurément, répondis-je, je vous ai déjà dit et redit qu’à mes yeux se nichait en la douleur un charme étrange. Rien n’est plus en mesure d’éveiller ma passion que la tyrannie, la cruauté, et, plus que tout, l’infidélité d’une belle femme. Et cette femme, cet idéal curieux né d’une esthétique du laid, l’âme d’un Néron83 dans le corps d’une Phryné84, je ne peux la concevoir sans fourrures.

— Je comprends, assura Wanda, elles donnent à la femme quelque chose d’impérieux, d’imposant.

— Ce n’est pas tout, repris-je. Vous savez que je suis un suprasensuel, que, chez moi plus que chez quiconque, tout prend racine dans l’imagination puis s’en nourrit. Je me suis épanoui rapidement et j’étais surexcité lorsqu’à dix ans environ on m’a mis entre les mains les légendes des martyrs ; je me rappelle avoir été submergé d’horreur, ou plutôt de ravissement, en lisant comment ils croupissaient dans des cachots, étaient rôtis sur le grill, transpercés de flèches, précipités dans la poix, jetés aux fauves, crucifiés, supportant les plus horribles supplices dans une sorte de joie. Les souffrances, les cruelles tortures me paraissaient être un délice, et particulièrement lorsqu’elles étaient infligées de la main d’une belle femme puisqu’à mes yeux la femme concentre en elle la plus grande poésie et la plus grande perfidie. Je lui vouais alors un véritable culte.

« Je voyais dans la sensualité un je ne sais quoi de sacré, voire même la seule chose qui fût sacrée, dans la femme et sa beauté, quelque chose de divin, en raison du devoir le plus important qui lui revient : assurer la pérennité de l’espèce, la première de ses missions. Je voyais dans la femme la personnification de la nature, Isis85, et dans l’homme, son prêtre, son esclave ; je la voyais cruelle envers l’homme, comme peut l’être la nature qui se sépare de tout ce qui l’a servie sitôt qu’elle n’en a plus besoin, tandis que l’homme endure les sévices qu’elle lui inflige, jusqu’à la mort, dans une voluptueuse félicité.

« Je jalousais le roi Günther attaché par la violente Brunhilde86 pour leur nuit de noces, le pauvre troubadour cousu par sa maîtresse capricieuse dans une peau de loup afin de le chasser comme une bête sauvage ; je jalousais le chevalier Ctirad, capturé dans les bois près de Prague et traîné au château Divin par Šárka87, amazone valeureuse et rusée, qui a passé quelque temps avec lui avant de le soumettre au supplice de la roue.

— Répugnant ! cria Wanda, je vous souhaite de tomber entre les mains d’une femme de cette race sauvage ; en peau de loup, entre les crocs des chiens de meute ou sur la roue, cette poésie pourrait bien vous échapper.

— Vous croyez ? Je ne crois pas.

— Vous avez perdu la raison.

— Possible. Mais écoutez plutôt : j’ai continué à lire avidement les histoires qui mettaient en scène les plus atroces cruautés. J’ai éprouvé du plaisir à regarder les images, les gravures qui les accompagnaient et tous les tyrans sanguinaires qui ont jamais siégé sur un trône, les inquisiteurs qui faisaient torturer, brûler ou débiter les hérétiques, toutes ces femmes qui sont entrées dans l’histoire de l’humanité en raison de leur volupté, de leur beauté, de leur violence, Libussa88, Lucrèce Borgia89, Agnès de Hongrie90, la reine Margot91, Isabeau92, la sultane Roxelane93, les tsarines russes du siècle passé, toutes, je les ai vues en fourrures ou en robes d’hermine.

— Et c’est ainsi que la fourrure éveille maintenant en vous ces étranges fantasmes », cria Wanda tout en se drapant coquettement dans son épais manteau de sorte que la zibeline sombre et brillante jouait gracieusement avec son buste et ses bras. « Alors, comment vous sentez-vous à présent ? Avez-vous l’impression d’être à demi supplicié ? »

Son regard vert et perçant s’est posé sur moi avec un étrange plaisir moqueur puis, succombant à mes passions, je me suis jeté à ses pieds et l’ai enlacée.

« Oui ! Vous avez ravivé mes fantasmes les plus chers, ai-je crié, ils ont bien assez sommeillé.

— Lesquels ? » Elle posa sa main sur ma nuque.

Sous l’effet de cette petite main chaude, sous son regard qui me pénétrait à travers ses paupières mi-closes, je fus envahi d’une douce ivresse.

« Être l’esclave d’une femme, d’une belle femme que j’aime et que j’adore !

— Et qui vous maltraite en retour, me coupa Wanda en riant.

Oui, qui m’attache et me fouette, qui me donne des coups de pied tandis qu’elle appartient à un autre.

— Et qui, après vous avoir rendu fou de jalousie, après vous avoir dressé contre l’heureux rival, pousse si loin la malice qu’elle vous offre à lui et vous livre à sa sauvagerie. Pourquoi pas ? Cette scène finale serait-elle à votre goût ? »

Je regardai Wanda avec effroi.

« Vous allez au-delà de mes rêves.

— Oui, nous autres, les femmes, sommes inventives, dit-elle, prenez garde lorsque vous aurez trouvé votre idéal ! Il pourrait très bien arriver qu’elle vous traitât avec plus de cruauté que vous ne le souhaiteriez.

— Je crains d’avoir déjà trouvé mon idéal, m’écriai-je, pressant mon visage brûlant dans son giron.

— Ce n’est pas moi, n’est-ce pas ? » cria Wanda, jetant sa fourrure. Elle se mit à sautiller dans la chambre en riant ; elle riait toujours alors que je descendais les escaliers, et, tandis que je réfléchissais dans la cour, son rire franc et espiègle me parvenait encore.

 

« Dois-je incarner votre idéal ? » demanda Wanda d’un ton narquois en me rencontrant aujourd’hui au parc.

Je n’ai d’abord su quoi lui répondre. Les sensations les plus contradictoires se débattaient en moi. Elle s’est assise sur un banc de pierre et a joué avec une fleur.

« Alors ? dois-je… »

Je me suis agenouillé et lui ai pris les mains.

« Je vous en prie une fois encore, soyez ma femme, une femme fidèle et loyale ; si vous ne le pouvez pas, alors soyez mon idéal, mais soyez-le totalement, sans retenue, sans modération.

— Vous savez bien que je vous accorderai ma main dans un an si vous êtes l’homme que je cherche, répondit très sérieusement Wanda, mais il me semble que vous me remercierez davantage si je réalise votre fantasme. Alors ? Qu’en dites-vous ?

— Je crois que toutes les folies de mon imagination trouvent écho dans votre caractère.

— Vous vous méprenez.

— Je crois, poursuivis-je, que vous aurez plaisir à tenir totalement un homme, à le tourmenter…

— Non, non ! cria-t-elle vivement. Encore que… » Elle réfléchit. « Je ne me comprends plus moi-même, continua-t-elle, mais je dois vous faire un aveu. Vous avez corrompu mon imagination, vous m’avez échauffé les sangs, je commence à prendre plaisir à tout cela et l’enthousiasme avec lequel vous parlez d’une Pompadour, d’une Catherine II, de toutes ces autres femmes égoïstes, frivoles et cruelles me ravit, pénètre mon âme et me pousse à leur ressembler ; malgré leur méchanceté, toute leur vie elles ont été servilement adorées, et, une fois dans la tombe, elles continuent d’accomplir des miracles.