Alors, faites de moi une despote miniature, une Pompadour domestique.
— Très bien, dis-je avec excitation, si cela est en vous, cédez aux penchants de votre nature, mais ne le faites pas à moitié ; puisque vous ne pouvez être une épouse gentille et fidèle, soyez donc le diable ! »
J’étais épuisé par une nuit blanche, excité, la proximité de cette belle femme me tourmentait comme la fièvre, je ne sais plus ce que je lui ai dit, mais je me rappelle avoir embrassé ses pieds, avoir pris l’un deux pour le poser sur ma nuque. Elle le retira prestement et se redressa, presque fâchée.
« Si vous m’aimez, Séverin, dit-elle rapidement, d’un ton sec et impérieux, ne parlez plus de ces folies. Comprenez-moi. Plus jamais. Je pourrais finir par vraiment… »
Elle sourit et se rassit.
« Tout cela est très sérieux, criai-je dans un demi-délire, je vous adore tant que je veux tout endurer de vous, pourvu que vous m’autorisiez à passer ma vie entière à vos côtés.
— Séverin, je vous avertis de nouveau !
— C’est inutile. Faites de moi ce que bon vous semble, mais ne me chassez pas tout à fait.
— Séverin, répondit Wanda, je suis une jeune femme frivole, vous donner entièrement à moi est dangereux ; vous finirez par être vraiment mon jouet, comment être certain que je n’abuserai pas de votre folie ?
— Votre âme généreuse.
— La violence rend audacieuse.
— Alors, sois audacieuse, m’écriai-je, roue-moi de coups de pied. »
Wanda passa ses bras autour de mon cou, me regarda dans les yeux et hocha la tête.
« Je crains de n’en être pas capable, mais je veux essayer, par amour pour toi, parce que je t’aime Séverin, comme jamais encore je n’ai aimé un homme. »
Aujourd’hui, elle a soudain mis son chapeau et son châle ; j’ai dû l’accompagner dans un bazar. Elle s’y fit montrer des fouets, de longs fouets à manche court, comme ceux qu’on utilise pour les chiens.
« Ceux-ci devraient convenir, dit le vendeur.
— Non, ils sont bien trop courts, répondit Wanda en me lançant un regard dérobé. Il m’en faut un grand.
— Pour un bouledogue, n’est-ce pas ? fit le marchand.
— Oui, s’enjoua-t-elle, en quelque sorte, comme ceux qu’on avait en Russie pour les esclaves récalcitrants. »
Elle chercha et choisit enfin un fouet dont la vue me rendit inquiet.
« Adieu, Séverin, dit-elle, je dois encore faire quelques achats pour lesquels vous ne pouvez m’accompagner. »
Après avoir pris congé, je fis une promenade. Sur le chemin du retour, je vis Wanda sortir de la boutique d’un fourreur. Elle me héla.
« Réfléchissez bien, commença-t-elle amusée, jamais je ne vous ai caché que votre être grave et rêveur m’avait conquise ; bien sûr, ça m’excite de voir cet homme m’appartenir tout à fait, oui ! de le voir en extase à mes pieds – quant à savoir si cette excitation durera… La femme aime l’homme, elle le maltraite pour finalement le chasser du pied.
— Alors, chasse-moi du pied lorsque tu en auras assez, répondis-je, je veux être ton esclave.
— Je vois poindre en moi de dangereuses inclinations, fit Wanda après quelques pas, tu les éveilles et ce n’est pas pour ton bien. Tu parles à merveille de volupté, de cruauté, d’insolence, mais que diras-tu si je m’essaye, si j’essayais de me conduire envers toi tel Denys94 qui a fait brûler dans le taureau d’airain95 son inventeur afin de s’assurer que ses lamentations, ses râles ressemblaient vraiment à des beuglements ? Et si j’étais une Denys féminine ?
— Sois-le, criai-je, et tu combleras mes fantasmes. Je t’appartiens pour le meilleur ou pour le pire. Choisis ! Je ne peux échapper au destin qui couve dans ma poitrine, il me pousse de manière diabolique. »
« Très cher ami,
« Je ne veux te voir ni aujourd’hui, ni demain. Je ne te verrai qu’après-demain et tu seras mon esclave.
« Ta maîtresse,
« Wanda. »
« Mon esclave » était souligné. J’ai relu le billet reçu de bon matin. Puis j’ai fait seller un âne, une bête parfaitement dressée et je suis parti vers les montagnes pour calmer, dans la magnifique nature des Carpates, ma passion et mon ardeur.
Me voici revenu, fatigué, affamé, assoiffé, mais surtout : amoureux. Je me suis habillé à la hâte puis, quelques instants plus tard, j’ai frappé à sa porte.
« Entrez ! »
Je suis rentré. Elle se tenait au milieu de la pièce, dans une robe blanche de satin qui coulait sur elle comme un torrent de lumière. Elle portait une kazabaïka de satin aux riches et luxuriantes parures d’hermine, ses cheveux poudrés de frimas étaient surmontés d’un petit diadème de diamant. Elle croisait les bras et fronçait les sourcils.
« Wanda ! » J’ai fondu sur elle pour l’étreindre et l’embrasser ; elle fit un pas en arrière et me jaugea de la tête aux pieds.
« Esclave !
— Maîtresse ! » Je m’agenouillai et embrassai l’ourlet de sa robe.
« C’est mieux comme ça.
— Oh ! Ce que tu es belle !
— Je te plais ? »
Elle s’approcha du miroir et s’y mira avec une orgueilleuse suffisance.
« Vous faites chavirer mes sens ! »
Ses lèvres se contractèrent en une moue méprisante et ses paupières mi-closes laissaient entrevoir des yeux malicieux.
« Donne-moi le fouet ! »
Je parcourus la pièce du regard.
« Non, ordonna-t-elle, reste à genoux ! » Elle gagna la cheminée, prit le fouet sur son rebord et, me regardant en souriant, le fit claquer dans l’air avant de remonter lentement les manches de sa houppelande.
« Magnifique femme ! m’écriai-je.
— Silence, esclave ! » Son regard s’était fait soudain plus sombre, plus sauvage même, et elle me donna du fouet ; aussitôt, elle passa son bras autour de ma nuque et se pencha vers moi avec compassion. « T’ai-je fait mal ? demanda-t-elle, tiraillée entre la honte et l’angoisse.
— Non, rétorquai-je, et, si c’était le cas, les douleurs que tu m’infliges sont une jouissance. Ne fouette que si tu en éprouves du plaisir.
— Je n’en éprouve nul plaisir. »
De nouveau, je ressentais cette sorte d’ivresse.
« Fouette-moi, la priai-je, fouette-moi sans la moindre pitié. »
Wanda brandit le fouet et me frappa deux fois. « En as-tu assez ?
— Non.
— Non ? Sérieusement ?
— Fouette-moi, je t’en prie ! C’est un régal.
— Oui, parce que tu sais bien que ce n’est pas sérieux, rétorqua-t-elle, que je n’ai pas le cœur à te faire mal. Ce jeu brutal me dégoûte. Si j’étais vraiment femme à battre son esclave, tu serais terrorisé.
— Non, Wanda, dis-je, je t’aime plus que moi-même, je t’appartiens à la vie, à la mort, tu peux vraiment disposer de moi comme tu l’entends, oui, selon ce que te dicte ton orgueil.
— Séverin !
— Écrase-moi ! criai-je en me jetant à ses pieds, face contre terre.
— J’exècre la comédie, dit Wanda qui perdait patience.
— Alors, maltraite-moi donc pour de bon. »
Un silence inquiétant.
« Séverin, je t’avertis une dernière fois, commença Wanda.
— Si tu m’aimes, soit cruelle envers moi, l’ai-je suppliée, les yeux levés sur elle.
— Si je t’aime, reprit Wanda, soit. » Elle recula d’un pas et me considéra avec un sourire mauvais. « Alors sois mon esclave et savoure ce qu’implique d’être livré aux mains d’une femme. » Et elle me donna un coup de pied.
« Dis-moi, esclave, ça t’a plu ? »
Puis elle brandit le fouet.
« Redresse-toi ! »
J’ai voulu me lever.
« Pas ainsi, commanda-t-elle, à genoux. »
J’obéis et elle commença à me fouetter.
Les coups rapides pleuvaient avec force sur mon dos, sur mes bras, lacérant ma chair et provoquant de vives brûlures. Mais les douleurs me ravissaient parce qu’elles venaient de celle que j’adorais, à qui j’étais prêt à sacrifier ma vie à tout moment.
Elle s’arrêta. « Je commence à y prendre du plaisir, dit-elle. Ça suffit pour aujourd’hui, mais je suis habitée par la diabolique curiosité de voir jusqu’où iront tes forces, par l’envie cruelle de te faire trembler sous mon fouet, de te faire ployer pour, enfin, entendre tes gémissements, tes geignements, jusqu’à ce que tu demandes grâce – et je fouetterai sans pitié de plus belle, jusqu’à ce que tu perdes connaissance. Tu as réveillé de dangereuses inclinations en moi.
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