Le jour où l'on se reverrait, de quel poids pèserait un tel argument !
« Mais croyez-vous que Mlle Yolande vous rendra heureux? disait Coloquinte en tremblant. Saura-t-elle ranger vos affaires, vous préparer votre café, et vous protéger contre un tas de petits tracas qui vous agacent et vous troublent? Je souffrirais à en mourir si elle n'était pas digne de vous. »
Les termes dont elle usait n'allaient pas au-delà de ses sentiments profonds. Mais tout semblait naturel à Balthazar de ce que Coloquinte pouvait lui offrir. Au juste il n'y prêtait pas attention.
« Yolande est digne de moi, affirma-t-il naïvement. C'est une noble créature, comme on en voit dans les pièces de théâtre. »
Un matin, il reçut de Mlle Rondot ce message téléphonique : « Venez sans perdre une minute. Je serai dans mon boudoir. Votre fiancée. »
Il montra le message. Coloquinte ne dit pas un mot et tira du papier de soie qui l'enveloppait la redingote de cérémonie. Le haut-de-forme fut extrait de son carton, ainsi que le gant jaune beurre.
Trois fois elle rajusta la cravate blanche de Balthazar, puis elle le contempla des pieds à la tête. Un jeune dieu de la mythologie ne lui eût pas semblé plus beau ni plus élégant de tournure. Comment Mlle Yolande ne l'eût-elle pas aimé !
Ils s'en allèrent. Au square des Batignolles, il installa Coloquinte et sa serviette sur un banc.
« Reste ici. Je suppose bien que Yolande a remporté la victoire, puisqu'elle s'intitule ma fiancée. Mais, tout de même, je ne peux pas arriver avec l'argent. Je viendrai le chercher. »
Il ne doutait pas d'ailleurs, M. Rondot s'absentant chaque matin, que l'entretien ne fût d'abord tout intime, et il dit à la domestique qui accourut à son coup de sonnette :
« Mademoiselle est dans son boudoir, n'est-ce pas?
— Je suppose, monsieur. »
Il connaissait bien la pièce, pour y avoir donné à Yolande des leçons de philosophie quotidienne. On devait passer par la salle à manger. Il entra vivement et s'arrêta court. M. Rondot, rentré plus tôt qu'à l'ordinaire, déjeunait.
La stupeur de Charles Rondot fut telle qu'il resta la fourchette en l'air, la figure soudain violette et les lèvres agitées d'un bégaiement.
« Vous ! vous ! Je vous ai défendu... Vous n'êtes qu'un... »
Balthazar refusa de savoir ce qu'il était. Il allongea le bras en souriant, comme s'il voulait dire :
« Attendez... Pas de gros mots..., vous regretteriez.
— Vous n'êtes qu'un... »
Le bras de Balthazar insista :
« Un peu de patience... Vous allez être satisfait... »
Mais, comprenant soudain qu'il y avait eu méprise et qu'il ne pouvait montrer la dépêche de Yolande, il s'écria tout de go :
« Mon père est retrouvé!... J'ai un nom !... de l'argent !... »
Charles Rondot avait enfin réussi à se détacher de sa chaise et avançait à petits pas élastiques, comme une bête fauve qui va s'élancer. Balthazar se hâta de dresser des obstacles.
« Beaucoup d'argent !... beaucoup... et puis un grand nom... le droit de rester couvert... »
M.
1 comment