Coloquinte se haussa comme elle put, en choisissant, d'après les empreintes des pas, le côté où les deux individus avaient travaillé. Elle trouva la brèche pratiquée dans la fermeture, y passa le bras, tâtonna et enfin saisit un objet qu'elle extirpa de la cuve.
C'était un petit portefeuille, ou plutôt une pochette de cuir, ficelée et cachetée.
« Voici », dit-elle en tendant l'objet à Balthazar.
Elle fut stupéfaite de sa pâleur. Il tremblait sur ses jambes, et elle dut le secourir pour qu'il ne s'affaissât point contre le pied de l'arbre.
« Sauvons-nous, ordonna-t-elle. Ils vont revenir. »
Elle eut la présence d'esprit d'éviter la gare voisine, et, malgré la défaillance du professeur, de diriger leur fuite jusqu'à la station de Louveciennes.
Un train sifflait. Elle fit monter Balthazar dans un compartiment vide où elle lui donna un flacon de vulnéraire tiré de la serviette. Quand il fut remis d'aplomb, il examina le portefeuille, et vit un nom sur une carte épinglée à même le cuir : « Pour mon fils, Balthazar », ce qui le rejeta dans une telle agitation qu'il dit à Coloquinte :
« Ouvre. »
Elle obéit, coupa les ficelles et répandit sur la banquette le contenu du portefeuille, billets de mille francs, titres, coupons détachés...
« Non, non, dit-il, ne perds pas ton temps à classer toutes ces paperasses. L'argent, je m'en moque. Ce que je voudrais c'est quelque renseignement sur mon passé... sur ma mère... une lettre... une enveloppe... »
Lui-même fouillait fiévreusement. On eût dit que toute sa vie dépendait de ce qu'il allait trouver. Et soudain, il s'écria :
« Oh! voilà... tiens... regarde... une photographie... »
Un vieux portrait usé par le temps, mais encore distinct, représentait une femme toute jeune, de visage charmant, et qui souriait d'un air heureux.
Derrière, ces mots : Ernestine Henrioux. Ernestine Henrioux!... le nom même que le comte de Coucy-Vendôme avait confié à maître La Bordette ! Le nom de la jeune fille qu'il avait séduite et qui était devenue mère de Balthazar! Ainsi le comte léguait à son fils, outre une fortune, le portrait de la fiancée trahie, et lui commandait par là même de la retrouver et de l'aimer.
Il tenait entre ses mains et contemplait la pâle image. Elle lui souriait avec gentillesse. Il répondait par une grimace pleine d'affection. Coloquinte souriait aussi à cette jolie figure et ressentait toute la joie que l'on éprouve à retrouver une mère.
Elle recueillit les titres et les billets de banque, et réussit à les caser au fond de sa serviette, qui ajouta à ses autres fonctions celle de coffre-fort. Puis elle se rapprocha de Balthazar, et, tout en observant son front où la coiffe du chapeau laissait une barre de rouge, la végétation clairsemée de son crâne, les poils de sa barbe soyeuse, toutes choses qui lui semblaient si douces à considérer, elle pensait : « Quelle chance que ce ne soit pas une de ces aventures où l'on ne trouve que chagrins et déceptions ! L'émoi de M. Balthazar est si grand qu'il serait tombé malade si ce n'étaient là des faits de la vie quotidienne ! »
IV
LES ÉVÉNEMENTS REVÊTENT QUELQUEFOIS LES APPARENCES DU PLUS MAUVAIS ROMAN D'AVENTURES
A PROPREMENT dire, Balthazar ne tomba pas malade, mais il profita d'un répit dans ses occupations pour faire de la chaise longue devant son tonneau.
Il avait d'ailleurs un peu de fièvre que Coloquinte combattait avec des infusions de plantes séchées par elle. Elle lui tâtait le pouls, lui lavait le visage à l'eau tiède, lui posait sur le front des compresses auxquelles il préférait la main fraîche et apaisante de la jeune fille, et souvent le berçait de paroles chuchotées qui prouvaient à quel point elle connaissait la nature de son maître et profitait de son enseignement.
« Dans quel état vous mettent les émotions trop fortes, monsieur Balthazar! disait-elle d'une voix qui défaillait de tendresse, et en le regardant avec extase. Votre fièvre me désespère, et j'ai bien envie de pleurer. Soyez calme, je vous en supplie. Contrôlez les élans de votre cœur. Il faut attacher le moins d'importance possible aux buts que l'on poursuit, afin que la réussite ou l'insuccès ne vous ébranlent pas trop profondément. »
Elle employait les expressions du professeur, et il semblait à Balthazar que c'était lui-même qui se donnait des conseils et dessinait les limites au-delà desquelles il n'y a qu'aventures et dangers pour les impressionnables de son espèce.
« Tu as raison », disait-il, tout en examinant avec elle le gracieux visage d'Ernestine Henrioux.
Du portefeuille et des titres, pas un mot. Ils n'y songeaient point, et n'avaient même pas la curiosité d'en établir le compte exact. Une fois remisé dans les profondeurs de la serviette, derrière les brosses et les boîtes de cirage, cela ne représentait plus pour Balthazar que la principale des conditions imposées par M. Charles Rondot.
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