Le notaire appliqua sur une feuille de papier l'empreinte ainsi obtenue, la confronta avec une empreinte dessinée sur une autre feuille de papier, et conclut nettement :

« Cette fois, la cause est entendue.

— La cause est entendue?... C'est-à-dire ?..

— C'est-à-dire que vous êtes bien le sieur Balthazar, et que le sieur Balthazar est, en l'espèce...

— En l'espèce?...

— Godefroi, fils du comte de Coucy-Vendôme, baron des Audraies, duc de Jaca, et grand d'Espagne... »

III

LA PRÉDICTION DE LA SOMNAMBULE

COLOQUINTE laissa tomber sa lourde serviette qui s'ouvrit et livra passage à une brosse de chiendent et à une timbale en aluminium. Balthazar secoua un peu la tête sous cette avalanche de titres et de noms sonores, et saisit son chapeau comme prêt à s'en coiffer : dans le désordre de ses pensées il ne retenait guère que son privilège de grand d'Espagne à demeurer couvert.

Mais le notaire La Bordette n'avait pas de temps à perdre. Si, par faiblesse humaine, il se fût dépouillé de son armature d'impassibilité, son père et son grand-père n'avaient aucune raison pour participer à l'émotion du professeur et de sa dactylographe. Il continua donc son discours :

« Attaché depuis plus d'un siècle à la famille de Coucy-Vendôme, nous fûmes mandés, il y a quelques mois, en son hôtel du faubourg Saint-Germain par le comte Théodore, dernier du nom, puisque feu Mme la comtesse ne lui a laissé que quatre filles. Le comte Théodore, atteint déjà d'une maladie qui ne pardonne pas, nous confia l'existence d'un fils qu'il avait eu, étant jeune homme, de ses relations avec la demoiselle Ernestine Henrioux. Le comte, poussé par des scrupules qui l'honorent, désirait réparer cette faute de jeunesse et transmettre, grâce à une reconnaissance en règle, son nom et une partie de sa fortune à son fils Godefroi qui vivait quelque part, il ignorait où, sous le nom de Balthazar.

« Le comte nous donna les indications nécessaires, telles que l'inscription des trois lettres M. T. P. sur la poitrine du sieur Balthazar, et l'empreinte de son pouce gauche. En outre, il nous montra, dans une armoire secrète, un portefeuille où se trouvaient seize cent mille francs en billets et titres au porteur. Il devait enfin nous fournir d'autres renseignements sur la mère de l'enfant, sur la personne à qui l'on avait confié celui-ci, et sur l'endroit où il vivait actuellement. Par malheur...

— Par malheur ?

— Le drame terrifiant que vous avez lu dans les journaux mit fin aux jours de notre client, et cela avant que nous l'eussions revu. »

Balthazar qui ne connaissait rien de ce drame terrifiant, mais qui ne voulait pas l'avouer, chuchota :

« Oui... oui... j'ai lu... je me rappelle... Le mois dernier, n'est-ce pas ?

— Mais non, monsieur, rectifia vivement maître La Bordette, cela remonte plus haut. Le 10 septembre exactement, donc il y a sept mois, le comte Théodore qui chassait dans ses terres de Seine-et-Oise fut assassiné.

— Assassiné ! répéta Balthazar.

— Oui, monsieur, et vous vous souvenez de quelle horrible manière : la hache qui frappa la victime avec une violence inouïe lui détacha presque entièrement la tête. »

Une seconde fois la serviette de Coloquinte glissa de ses genoux. Le cou de Balthazar s'allongea au-dessus de son faux col. Il était blême.

« Je le savais... je le savais... un homme sans tête... la somnambule...

- La somnambule ?

— Oui... oui... j'ai consulté... balbutia le professeur en mots étouffés que maître La Bordette ne saisit pas... Tu te rappelles, Coloquinte... hier... ce qu'on m'a prédit?... »

Maître La Bordette et ses deux conseillers furent d'avis qu'il fallait passer outre à cet accès de trouble bien excusable, et le discours des trois notaires s'acheva rapidement.

« Les suites de cette affaire, qui fit tant de bruit, vous les connaissez, et il serait oiseux de s'y attarder. Vous n'ignorez pas non plus qu'après des mois d'investigations, nous avons eu l'heureuse idée de recourir à l'agence X.