Y. Z. Il ne nous reste donc qu'à préparer les voies et moyens qui vous permettront de porter l'affaire devant le Conseil d'Etat, de revendiquer votre droit au nom de Coucy-Vendôme, et de réclamer votre part d'héritage. »

Peut-être la figure morne du notaire esquissa-t-elle un léger sourire d'ironie ainsi qu'il est naturel quand on annonce une nouvelle désagréable :

« J'oubliais de vous dire à propos, monsieur, que notre premier soin fut de procéder à l'ouverture de l'armoire secrète. Nous avons eu alors la profonde surprise de constater qu'elle était vide. Le comte Théodore avait-il emporté avec lui le portefeuille et avait-il choisi, durant la période de chasses, quelque armoire du château?...

— Je pourrais sans doute vous renseigner, murmura Balthazar, j'ai reçu directement une lettre qui me fournit des indications... »

Un regard suppliant de Coloquinte le réduisit au silence. A quoi bon en effet divulguer un tel secret ? D'ailleurs maître La Bordette ne s'arrêtait jamais au cours d'une période, et il continuait :

« Les recherches jusqu'ici — recherches discrètes puisque les dispositions du comte à votre égard sont provisoirement confidentielles — n'ont amené aucun résultat. Il vous sera loisible de les poursuivre publiquement et avec plus d'activité en tant que fils reconnu. Je m'occupe dès maintenant d'établir les actes que vous aurez à signer. »

L'audience prenait fin, et lorsque maître La Bordette avait dit ce qu'il considérait comme son dernier mot, il n'aurait pas accordé la grâce du plus léger délai. Approuvé par son père et son grand-père, il ouvrait la porte et congédiait l'intrus avec une vigueur qui coupait court à toute idée de retour offensif.

Balthazar n'avait guère envie d'affronter un si rude jouteur. Il sortait de l'engagement un peu fourbu et le cerveau tumultueux. Coloquinte lui offrit son bras, comme elle faisait en certaines occasions, sous prétexte de former contrepoids à sa serviette.

Ils remontèrent les rues qui conduisent à la butte Montmartre, et, au bout d'un moment, elle lui dit, non sans inquiétude, et comme un disciple qui interroge son maître :

« Ce n'est pas des aventures, toutes ces histoires, n'est-ce pas, monsieur Balthazar?

— Comment peux-tu le demander? répliqua-t-il. Que mon père ait été la victime d'un assassinat, c'est douloureux. Est-ce anormal ?

— Mais cette prédiction ?.. la tête ?..

— Coïncidence !

— Et cette armoire vide? Cette cachette dont vous êtes averti directement?... Cette lettre qui vous donne des indications si précises sur la forêt de Marly et sur le portefeuille?... »

Balthazar déclara d'un ton péremptoire : « Toutes ces combinaisons révèlent un homme dont les idées ne sont plus très nettes. Je suppose que mon père était un amateur de ce qu'on appelle le roman policier, et qu'il aura machiné son plan selon la technique enfantine de ces romans. J'en ai lu. C'est absolument idiot...

— Alors nous n'irons pas là-bas ?...

— Si, dit-il, puisque mon père, le comte de Coucy-Vendôme, l'exige. Mais quant au trésor... »

Le train les conduisit, quelques jours plus tard, à la station de Marly. La forêt était proche, légère encore des frondaisons toutes neuves qui luisaient au soleil. Des souffles tièdes couraient sur la campagne et enveloppaient Balthazar de bien-être et de joie. Il marchait allégrement, soutenu par une conscience sereine. L'expédition lui semblait inoffensive autant que celle d'un pêcheur à la ligne qui connaît un creux où foisonnent les goujons. Coloquinte se sentait si heureuse que le poids de sa serviette ne la déformait pas.

« Je ne cesserai de te le répéter, Coloquinte, la vie est composée de petits faits insignifiants. C'est comme une tapisserie, qui forme, n'est-ce pas ? de grandes scènes très compliquées, et qui n'est au fond qu'un assemblage de petits bouts de laine noués au canevas le plus monotone. »

Non loin d'eux se déployait l'éventail d'un carrefour. Ils virent déboucher d'une des routes un individu coiffé d'un béret basque, et qui sauta de sa bicyclette. Il regarda autour de lui, ne les aperçut point, et se courba quelques secondes au-dessus d'une borne kilométrique. Puis il repartit et descendit de nouveau pour entrer dans une auberge située à la lisière même de la forêt.

En traversant le carrefour, ils examinèrent la borne. Une inscription à la craie, avec une flèche marquant la direction prise par l'individu, offrait ces trois lettres majuscules : « M. T.