»
Mais d’abord il en fit un choix, il les retoucha, il y introduisit sans doute plus d’une interpolation, et il les relia par une prose qui nous aide à reconstruire cette douce et tendre histoire, mélancolique aurore des jours orageux que la destinée lui préparait.
IV.
Ce que j’ai appelé plus haut l’économie littéraire de la Vita nuova est tout à fait particulier.
Celle-ci nous rappelle ces monumens composites où l’on retrouve le style et l’époque des constructions qui se sont superposées. Les élémens dont elle se compose peuvent être ramenés à trois ordres différens : 1Ůne prose qui nous expose le récit. Son développement comprend la succession d’événemens, d’impressions et de sentimens dont l’évolution constitue la charpente même de l’œuvre ;
2° Des vers, sous forme de canzoni , de sonnets, de ballades se rapportant aux momens successifs que suit l’action du poème ;
3° Des explications, divisions et subdivisions à l’infini, lesquelles, conformé-
ment aux règles de la scolastique, se rapportent à la structure et à la signification de chacune de ces poésies.
Le tout est contenu dans quarante-trois chapitres.
Mais cette exposition n’est pas précisément conforme à l’ordre chronologique de la composition.
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Il n’est pas douteux que la première émanation de la Vita nuova appartient aux petits poèmes dans lesquels l’auteur nous initie aux sentimens intimes dont l’expression rimée est la trame véritable de son œuvre. Chacun d’eux est le tableau, achevé dans sa concision, d’un état d’âme sollicité par les circonstances extérieures ou par sa propre inspiration.
Si l’on veut bien se reporter à ce qui a été exposé plus haut (page 16) au sujet des habitudes littéraires de cette époque, on pourra suivre la genèse de chacune de ces poésies, où l’auteur reproduisait à mesure, sous la forme que lui dictaient et son époque et son génie, ses impressions et ses pensées du moment.
Ceci comprend un intervalle de 16 années, si l’on veut compter depuis la première (1274) où naquit l’amour de Dante pour Béatrice jusqu’à la mort de celle-ci (1290) ; mais en réalité le roman ne déroule ses péripéties que pendant une durée de trois ou quatre années.
C’est après la mort de Béatrice que le Poète a rassemblé les expressions de ses expansions poétiques, et leur a donné un corps en composant, avec ses souvenirs, la prose qui sert à les relier. Pour des raisons que nous ne connaissons pas, il a laissé en dehors un certain nombre de pièces rimées qui avaient été certainement composées aux mêmes époques, et se rapportaient aux mêmes sujets et aux mêmes idées que les pièces conservées « dans ce petit livre ».
Dans la plupart des éditions italiennes de la Vita nuova , le texte du poème est suivi d’un appendice comprenant : altre rime spettanti alla Vita nuova. Toutes ces poésies ( rime ), sonnets, canzoni, etc., ne tiennent pas une place égale dans le poème. J’ai reproduit dans les Commentaires celles qui m’ont paru se rattacher plus directement à tels ou tels chapitres, c’est-à-dire aux circonstances qui y sont relatées.
C’est donc aux premières années qui ont suivi la mort de Béatrice qu’il faut rapporter ce travail de reconstruction. On s’accorde généralement à le placer vers les années 1291 et 1292, ainsi que la composition de la prose, qui enveloppe la poésie comme la chair d’un fruit en enveloppe le noyau.
Il est probable qu’il a retouché les produits de ses inspirations journalières, et on ne saurait douter, qu’il n’y ait introduit après coup plus d’une interpolation, car il y a plusieurs passages de la Vita nuova dont l’interprétation ne paraît possible que moyennant une telle supposition.
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Cette prose nous aide à établir la filiation des circonstances qui ont sollicité ou inspiré les pièces poétiques. Elle n’est souvent que comme la préparation de celles-ci, et le même récit peut se reproduire ainsi sous deux formes successives.
Quelquefois aussi cette double expression d’événemens ou d’impressions iden-tiques se présente sons des formes un peu différentes. C’est comme un motif mu-sical que le compositeur répète dans un ton différent ou avec des développemens nouveaux.
V.
Cette traduction est absolument littérale. On reconnaîtra aisément que le traducteur a sacrifié plus d’une fois les exigences du style moderne au scrupule de s’écarter le moins possible d’un style encore médiéval, mais alors nouveau, dolce stil nuovo , qui est un des charmes de cette œuvre. Il s’est contenté de conserver la coupe des morceaux rimes. C’est tout ce qu’il pouvait faire, toute tentative de reproduire en vers une œuvre poétique ne pouvant que compromettre la fidélité de la traduction, en raison des nécessités et des procédés d’une prosodie tout autre que celle du modèle. Et la pensée du Poète est toujours si nette et si concise qu’il n’a été que très rarement nécessaire d’intervertir l’ordre de leur alignement.
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