Lassie chien fidèle
LASSIE CHIEN FIDÈLE
ERIC KNIGHT
LASSIE CHIEN FIDÈLE
Traduit par
Janine de Villebonne
Illustrations :
Akos Szabo
HACHETTE Jeunesse
L’édition originale de cet ouvrage
a paru en langue anglaise
sous le titre :
LASSIE COME HOME
ISBN : 2-01-020494-8
© Librairie Hachette, 1952.
© Librairie Générale Française, 1981,
pour les illustrations.
Couverture :
D’après Pierre Faucheux
Couverture illustrée par Sandra Smith
Chapitre 1
Pas à vendre
Tout le monde à Greenall Bridge connaissait Lassie, la chienne de Sam Carraclough. C’était même le chien le plus célèbre de tout le village, et cela pour trois raisons.
D’abord, presque tous les habitants s’accordaient pour dire qu’ils n’avaient jamais vu un aussi beau colley.
C’était là un compliment exceptionnel, car Greenall Bridge se trouve dans le Yorkshire, seul endroit de la terre où le chien est vraiment roi. Dans ce coin désolé de l’Angleterre septentrionale, les chiens semblent se développer mieux que partout ailleurs. Le vent et les pluies glacées qui balaient les landes leur donnent une fourrure riche et les rendent aussi vigoureux que les habitants de la région. Ceux-ci les aiment et savent les élever. Traversez l’un des petits villages miniers disséminés par centaines dans ce comté, le plus grand de l’Angleterre, et vous verrez, marchant sur les talons d’ouvriers pauvrement vêtus, des bêtes d’une si belle race et d’une allure si aristocratique qu’elles feraient envie aux plus riches amateurs des autres parties du monde.
Greenall Bridge était semblable à tous les villages du Yorkshire. Ses habitants connaissaient les chiens, les comprenaient et les aimaient, et ils en avaient de remarquables. Mais, de mémoire d’homme, il n’y avait eu, à Greenall Bridge, de plus beau chien que le colley noir, blanc et feu de Sam Carraclough.
La popularité de Lassie avait encore une autre cause. Cette chienne, disaient les femmes, avait la régularité d’une horloge.
Lassie avait acquis le sens de l’heure bien des années auparavant, du temps où elle était jeune, turbulente et folâtre. Un jour, Joe, le fils de Sam Carraclough, était rentré chez lui au comble de l’agitation.
« Maman ! Devine qui m’attendait aujourd’hui à la sortie de l’école ? Lassie ! Comment a-t-elle pu savoir où j’étais ?
— Elle a dû te suivre à la trace, Joe. Je ne vois pas d’autre explication. »
Quoi qu’il en fût, Lassie avait attendu à la porte de l’école, le lendemain et le surlendemain. Les semaines, les mois avaient passé, et Lassie avait continué son manège. Dans la Grand-Rue, les femmes accoudées à la fenêtre de leur maison, les commerçants debout sur le seuil de leur porte, voyaient passer, de son petit trot régulier, l’air digne, le chien noir, blanc et feu ; et chacun pensait :
« Il doit être quatre heures moins cinq ; voilà Lassie. »
Par n’importe quel temps, le colley était toujours à son poste pour attendre Joe, parmi des douzaines de petits garçons qui traversaient, courant et se bousculant, la cour de récréation cimentée. Mais, pour Lassie, un seul enfant comptait. Tous les jours, après un accueil joyeux, le petit Joe et son chien reprenaient ensemble le chemin de la maison. Et, pendant quatre ans, Lassie n’avait jamais manqué au rendez-vous.
Presque tous les habitants du village connaissaient Lassie1 ; elle leur était chère et faisait partie de leur vie quotidienne. Mais, surtout, ils étaient fiers d’elle, car Lassie avait, pour eux, une grande valeur, une valeur difficile à expliquer. Leur orgueil était en cause, et une question d’argent suscitait cet orgueil : en général, un chien particulièrement beau devenait bientôt pour son maître une simple créature à quatre pattes représentant une certaine somme d’argent ; en effet, un riche amateur pouvait en entendre parler, des propriétaires ou des gardiens de chenil, toujours aux aguets, pouvaient le voir et désirer l’acheter. Si rien ne distingue le riche et le pauvre dans l’affection qu’ils portent à leur chien, ils ont une façon bien différente de considérer l’argent : le pauvre pense au charbon nécessaire durant l’hiver, aux chaussures à remplacer, à la bonne nourriture, qui maintiendra ses enfants beaux et forts. Alors, un soir, il rentre à la maison et dit :
« Allons, je ne pouvais pas faire autrement, ne venez pas m’assommer avec vos lamentations. Quelque jour, nous en élèverons un autre, et vous l’aimerez autant que celui-ci. »
Beaucoup de jolis chiens avaient ainsi quitté les maisons de Greenall Bridge. Mais Lassie était restée !
Oui, tout le village savait que Sam Carraclough avait refusé de vendre Lassie au duc de Rudling, au duc en personne, qui vivait dans son grand domaine à un mille du village et dont les chenils étaient remplis de chiens magnifiques.
Pendant trois ans, le duc avait essayé d’acheter Lassie à Sam Carraclough, mais Sam n’avait jamais cédé.
« Inutile d’élever encore votre prix, Votre Seigneurie, disait-il. Lassie n’est pas à vendre, voilà tout. À aucun prix. »
Les habitants du village savaient tout cela. Et Lassie était leur fierté : elle symbolisait la résistance à la force de l’argent.
Mais les chiens ont des maîtres et ces maîtres sont parfois frappés par le destin. L’homme doit subir de tels coups du sort qu’il est obligé de courber la tête et de ravaler son orgueil pour que sa famille puisse manger du pain.
Chapitre 2
« Je n’aurai jamais d’autre chien »
Le chien n’était pas là ! Voilà tout ce que savait Joe Carraclough.
Ce jour-là, Joe était sorti avec les autres enfants et il avait traversé la cour à toutes jambes, course joyeuse vers la liberté comme on en voit dans toutes les écoles du monde lorsque le travail de la journée est terminé. Presque automatiquement, poussé par la force de l’habitude, Joe était allé à la porte où Lassie l’attendait toujours. Elle n’était pas là !
Joe Carraclough resta interdit. Petit garçon robuste, au joli visage, il essayait de trouver la clef de ce mystère. Au-dessus de ses yeux bruns, son grand front se plissa.
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