Il prit la ruelle et grimpa la colline jusqu’au grand plateau désolé qui s’étendait pendant des milles sur le pays du nord.

Il marchait d’un pas lourd. La nuit tombait, mais, instinctivement, les pieds de Sam suivaient les sentiers à peine marqués que les hommes avaient tracés en parcourant ce pays sauvage. Un étranger se serait vite perdu dans la lande où il n’y avait aucun point de repère, mais les villageois savaient s’y diriger.

Toute leur vie, ils avaient appris à étudier le pays. Ils connaissaient chaque pouce de terrain et le tournant d’un sentier était pour eux un indice aussi sûr du chemin à prendre que, pour un citadin, une plaque au coin d’une rue.

Le père de Joe avançait d’un pas ferme car il savait où chercher son fils. Après huit kilomètres de lande, le terrain formait une sorte d’île sur le plateau, un îlot de rochers affleurants. Ces gros blocs aux arêtes aiguës semblaient des tours de pierre, édifiées jadis par quelque enfant géant qui aurait abandonné son jeu de construction avant de l’avoir achevé. C’était là que venaient les gens du village dans leurs moments de détresse. Ces roches semblables à des tours, sinistres et solitaires, formaient des gorges et des cavernes où l’on pouvait demeurer dans une immensité silencieuse et réfléchir aux problèmes du monde et de la vie, sans être dérangé par personne.

C’était vers ces rochers que Sam Carraclough se dirigeait avec assurance dans la nuit. La pluie commença à balayer la lande, une pluie fine et pénétrante comme un brouillard ; mais Sam ne ralentit pas sa marche. Enfin, il vit se dessiner dans l’obscurité l’amoncellement rocailleux et ses pieds firent résonner les premières pierres. Il entendit alors un aboiement aigu : l’avertissement d’un chien aux aguets.

Escaladant un sentier qu’il avait suivi dans son enfance, le père de Joe partit dans la direction du son. Et là, dans un creux de rochers qui les mettait à l’abri de la pluie, il trouva le chien et l’enfant. Sam resta un instant immobile ; on n’entendait que le bruit de sa respiration.

« Viens, Joe », dit-il enfin.

Ce fut tout.

Le petit garçon se leva docilement et suivit son père en silence. Accompagnés du chien, l’homme et l’enfant parcoururent les sentiers de la lande couverte de bruyères enchevêtrées, les sentiers qu’ils connaissaient si bien tous les deux. Lorsqu’ils furent près du village, Sam s’adressa à son fils :

« Rentre à la maison, Joe. Je la ramène au chenil. Quand je serai de retour, j’aurai un mot à te dire. »

Joe comprit ce qui l’attendait. Il avait commis une faute grave, il le savait. Mais, en arrivant chez lui, il put voir, d’après l’attitude de sa mère, à quel point il avait blessé ses parents. Mme Carraclough accueillit son fils par un silence glacial. Elle le regarda enlever sa veste trempée et mettre ses souliers à sécher devant le feu ; elle lui servit un bol de thé bouillant, mais ne prononça pas une parole.

Enfin, le père rentra. Son visage était luisant de pluie, et la lumière de la lampe projetait des reflets plus vifs sur son nez, ses joues et son menton.

« Joe, dit-il, tu as mal agi en t’enfuyant avec Lassie, tu as mal agi envers ta mère et envers moi, tu le sais ? »

Sans se troubler, Joe répondit très distinctement :

« Oui, papa. »

Le père approuva de la tête et prit une profonde inspiration. Puis il porta les mains à sa taille et détacha sa large ceinture de cuir.

Joe le regardait faire sans broncher. Alors, à sa surprise, il entendit s’élever la voix de sa mère.

« Non, s’écria-t-elle, non ! »

Mme Carraclough s’était levée et faisait face à son mari. Joe n’avait jamais vu sa mère dans un tel état. Elle se dressait devant Sam et semblait décidée à lui tenir tête. Elle se retourna vivement.

« Joe, monte te coucher, allons, file. »

Joe obéit docilement. Mme Carraclough regarda son mari et parla d’un ton net.

« Il y a des choses à dire d’abord, et je vais les dire tout à l’heure. Il est temps que quelqu’un le fasse. »

Il y eut un long silence, et lorsque Joe passa devant sa mère pour monter l’escalier, Mme Carraclough le prit par les épaules, et lui sourit. Elle pressa rapidement la tête de l’enfant contre elle, puis, d’un geste de la main, le repoussa vers les marches.

Tout en gravissant les marches, Joe se demandait pourquoi les grandes personnes se montraient parfois si compréhensives juste au moment où l’on avait le plus besoin d’elles.

 

Le lendemain, au petit déjeuner, il ne fut pas question de l’incident.

Joe se rappela que, la veille, après son départ, ses parents avaient discuté longuement.