Elle repartit à l’assaut en courant, et, cette fois, resta pendant quelques secondes accrochée à l’angle du grillage, la force de son élan étant supérieure à la pesanteur. Elle en profita pour tirer sur tous ses muscles, s’efforçant de grimper de plus en plus haut. Ses pattes de devant atteignirent enfin le sommet, et, petit à petit, elle parvint à se hisser lentement. Elle oscilla d’une façon incertaine. Le haut du treillis lui déchirait le ventre, mais elle ne sentait rien ; elle n’avait qu’une pensée : il était l’heure, l’heure d’aller au rendez-vous.

Un dernier effort, et Lassie retomba hors du parc. Elle était libre ! Et maintenant sa tension nerveuse se relâcha.

Aucun obstacle ne barrait la route ; mais Lassie devina d’instinct la nécessité de se cacher pour ne pas être reprise. Elle avança avec précaution, comme un chien qui chasse ou qui est chassé.

Le ventre rasant terre, elle traversa le sentier à pas de loup et s’enfonça dans les rhododendrons. Le feuillage épais la dissimula. Une seconde plus tard, Lassie glissait comme un fantôme dans l’ombre d’un mur lointain. Sa mémoire des terrains, comme celle de la plupart des animaux, était parfaite. Elle allait silencieusement, mais à une vitesse étonnante, vers un point où le mur faisait place à une palissade. Il y avait un trou sous cette palissade. Lassie s’en était déjà aperçu, et elle s’y glissa.

Elle devina sans doute qu’elle venait de franchir la limite de quelque territoire ennemi, car elle reprit son allure normale. Elle se mit à trotter calmement, la tête droite ; et le panache de sa queue terminait avec élégance les lignes arrondies de son corps. C’était un superbe colley qui allait d’un pas joyeux accomplir bien tranquillement un acte de sa vie quotidienne.

 

Joe Carraclough ne s’attendait plus à revoir Lassie. Il lui avait ordonné de rester au chenil, il l’avait grondée et il avait vraiment cru qu’elle ne viendrait plus le chercher à l’école.

Si, parfois, il imaginait le retour de Lassie, il chassait bien vite ce rêve irréalisable. Aussi, ce jour-là, lorsque Joe sortit de l’école, il ne put en croire ses yeux ; assurément, il vivait un songe : Lassie l’attendait exactement comme d’habitude !

L’enfant, au comble de l’étonnement, regarda fixement la chienne qui, prenant ce silence pour un reproche, baissa la tête, puis remua doucement la queue.

Joe Carraclough caressa le cou de l’animal.

« C’est bien, dit-il lentement, c’est bien. »

Mais son esprit travaillait fébrilement : deux fois déjà, il avait ramené Lassie à ses parents, et deux fois, en dépit de ses supplications, on l’avait rendue.

Aussi Joe ne se précipita pas joyeusement pour rentrer chez lui, mais resta immobile, la main sur le cou du chien, les sourcils froncés, essayant de résoudre ce problème vital.

 

Hynes frappa à la porte de la maisonnette et entra sans attendre la réponse.

« Allons, où est-elle ? » demanda-t-il.

M. et Mme Carraclough le regardèrent, puis échangèrent un coup d’œil. Elle, l’air inquiet, sembla ne pas prêter attention à Hynes.

« Ah ! voilà pourquoi il n’est pas rentré !

— Oui, acquiesça son mari.

— Ils sont ensemble, Lassie et lui. Elle s’est encore échappée, et il a peur de revenir. Il sait que nous ne la garderons pas, et il est parti avec elle pour que nous ne puissions pas la rendre. »

Mme Carraclough se laissa tomber sur une chaise.

« Oh ! mon Dieu ! dit-elle d’une voix mal assurée, n’aurai-je jamais un peu de paix et de tranquillité chez moi ? N’en aurai-je jamais plus ? »

Sam se leva lentement. Il se dirigea vers la porte, prit sa casquette au portemanteau, puis retourna près de sa femme.

« Ne t’inquiète pas, dit-il. Joe n’est pas allé bien loin. Il a dû monter dans la lande. Il ne se perdra pas, Lassie et lui connaissent trop bien le pays. »

Hynes semblait ne pas s’apercevoir du désespoir des gens de la maisonnette.

« Allons, dit-il, où est mon chien ? »

Sam Carraclough pivota sur ses talons.

« C’est justement ce que je vais essayer de trouver, dit-il d’un ton calme.

— Eh bien, je pars avec vous. Je veux m’assurer qu’il n’y a pas quelque manigance là-dessous. »

Une grande colère envahit Sam Carraclough et il marcha sur l’intrus. Hynes recula vivement :

« Allons, ne vous emballez pas, dit-il d’une voix aiguë, ne vous emballez pas ! »

Carraclough regarda le petit homme du haut de sa grandeur, puis comme s’il méprisait un être tellement au-dessous de lui par la taille et par le courage, il se dirigea vers la porte. Là, il se retourna.

« Rentrez tout droit chez vous, monsieur Hynes, dit-il. Votre chien vous sera rendu dès que je le retrouverai. »

Et Sam Carraclough partit dans la nuit. Il n’alla pas au village.