Le cabinet noir


Max Jacob

Le Cabinet noir

LETTRES
AVEC COMMENTAIRES





Édition définitive


Gallimard














Tous droits de traduction , de reproduction et d’adaptation
réservés pour tous les pays.

© Éditions Gallimard, 1968.

© Gallimard, « L’Imaginaire », 1977.







NOTE DES ÉDITEURS


Cette édition définitive du Cabinet noir revue, est augmentée de cinq lettres inédites, pages 202 à 222.








J’offre l’édition complétée de ce livre à mon ami


Philippe de LAVASTINE.

À propos de Baccalauréat

Mon cher Fils,


Tu me dis par ta lettre du 15 courant que tu es surpris de ma conduite vis-à-vis de toi et que j’aie fait intervenir l’avoué de ta mère. Et en effet, mon cher fils, ayant eu des déceptions de ta part à cause de l’affection que j’ai pour toi et de la considération que j’avais pour ton caractère, je ne veux plus au moins provisoirement avoir affaire à toi. D’abord j’ai été étonné et contrarié que tu aies échoué à ton baccalauréat, mais voilà la troisième fois que tu échoues. D’abord c’était une malchance, la deuxième fois c’était à cause des courses de Deauville, cette fois c’est la haine d’un examinateur qui connaît la petite Juliette. J’en ai assez d’envoyer de l’argent à ta mère sous le prétexte de tes études. Sa susceptibilité plus ou moins justifiée par mes histoires de femmes m’a coûté assez cher. En tout cas que tout soit donc liquidé pour ce qui est de toi et de tes études. Fais ce que tu voudras mais vous n’aurez plus un sou pour les études. J’ai prévenu les personnes qui nous ont vus ensemble que je ne paierai pas tes dettes ; ne pense donc pas à vivre de dettes comme Lucien Coudray. Tu aimes la grande vie, c’est bien, je t’en félicite. Eh bien, s’il te faut la grande vie, fais ta fortune comme moi. Quand je t’emmenais avec mes amis en auto, je croyais que tu faisais le nécessaire pour tes études en dehors de la fête ; j’avais de l’estime pour toi parce que je croyais que tu me ressemblais. Mais non ! Tu n’es qu’un « fils de patron » et je n’aime pas les « fils à papa ». Il est possible que ce soit ta mère qui t’ait complètement gâté avec les jésuitières à la mode de son temps. Mais ne disons pas de mal de ta mère : c’est un principe. Libre à toi de penser d’elle ce que tu veux selon le respect filial que tu lui dois. Cependant je connais les gens dits vertueux et tu les prendras pour le poids qu’ils valent si tu deviens l’homme que j’espère malgré tes échecs au début de la vie.

Ne crois pas que j’agisse par mauvaise humeur contre toi ou contre ta mère ou par avarice. Je t’ai toujours traité comme un bon camarade ne te demandant pas que tu me traites autrement. Voilà mes principes : je n’aime pas la jésuiterie. Quant à l’avarice, il me semble que tu n’as pas eu à te plaindre de mon avarice jusqu’à ce jour dans la question d’argent. Donc c’est dans ton intérêt que j’agis ; tu échoueras à ton baccalauréat tant que tu iras en balade en auto avec nos petites amies et il faudra bien que tu restes chez ta mère quand tu n’auras plus d’argent. Tu sais aussi bien que moi combien les femmes et les balades coûtent cher. Il est vrai qu’à toi… mais tu verras les femmes que tu auras quand mon auto ne sera plus là ni mon argent pour les taxis.

Et puisque nous sommes sur ce chapitre, permets-moi de te le dire : je ne suis pas content de toi, car il y a des choses qui ne se font pas d’homme à homme et surtout de père à fils. Je ne te parle pas d’honneur ! on ne parle pas d’honneur à un enfant de dix-sept ans ; je te parle convenance. Ah ! j’ai compris pourquoi tu ne voulais pas aller chez Maxim’s ! tu ne voulais pas te trouver entre Louise Duchamp et moi par crainte de l’attitude des copines qui plus ou moins méchamment t’aurait trahi. Mais tout se sait, apprends-le pour ta gouverne et je donne cinq francs à Ernest chaque fois qu’il me fait un rapport sur Louise Duchamp. Ah ! oui ! « Maxim’s est un endroit démodé. » La vérité, je l’ai sue par Ernest, le garçon que tu connais, et la vérité est que Louise t’a emmené chez elle. Elle t’a dit : « Je serai toujours chez moi pour toi ! » Ce n’est pas pour faire de l’escrime ou de la boxe, je pense ? Or tu sais quel attachement j’ai, pour cette femme puisqu’elle est la principale cause de mon divorce et des malheurs de ta mère. Tu es au courant, donc c’était une raison pour ne pas accepter. Qu’as-tu fait ? tout fier d’avoir plu — car je ne crois pas qu’elle te prenait pour l’argent — tu as oublié le respect que tu dois à ton père.

Je ne me place pas au point de vue « cœur » (laissons la question « chagrin », je sais assez le cas qu’on doit faire des sentiments) mais au point de vue « respect ».