De quoi voulez-vous qu’une mère parle à sa fille ? de vertu, de religion, d’éducation ? Mais tout cela est sous-entendu, c’est connu ! alors ! ! ne trouvez-vous pas plus joli de transmettre à vos enfants le goût du chic ? d’armer sa fille de ces moyens de défense que la femme a contre l’homme, des soins charmants de vos avantages. D’ailleurs votre accusation de légèreté tombe d’un seul coup, voyez les conseils d’une mère à propos des domestiques !
C’est là que se révèle la fermeté d’une vieille dame qui n’est pas dupe de son cœur et ne connaît que son devoir. Cette vieille bourgeoisie française est digne de l’admiration de l’univers. On dit nos femmes trop tendres ! Ah ! mon Dieu ! tendres, oui, certes ! tendres, je ne dis pas non ! mais lorsqu’il s’agit de l’ordre, de la discipline et de l’économie domestique, oh ! qu’elles savent être féroces ! et comme elles ont raison ! et qui donc m’affirmait un jour qu’elles sont ridicules en matière d’étiquette. Tiens ! qui donc conserverait ces cadres de la bourgeoisie qu’on a eu tant de mal à obtenir si ce n’était elles ? Ce n’est pas vous, toujours ! messieurs, avec vos ignobles coudoiements d’affaires et de cafés. Et puis à quoi servirait d’avoir compris les honneurs et l’argent si ce n’était pour s’en servir. Qu’il s’ensuive un peu de mépris injustifié de-ci de-là, mon Dieu ! on ne fait pas l’omelette sans casser les œufs ! un peu de despotisme même ? Ici je vous arrête ! C’est la question du tabac qui revient. Eh bien ! quand on est sûr d’avoir raison, c’est bien le moins qu’on fasse triompher ses opinions. Or le tabac est nuisible ; il fait perdre la mémoire, arrête les battements du cœur et détermine un cancer. En tout cas il n’est pas indispensable et j’approuve Mme Riminy-Patience d’en interdire l’usage chez elle. D’ailleurs l’exercice du sacrifice n’est jamais inutile. Un homme doit savoir souffrir. Il n’est pas mauvais du tout qu’une femme ait de l’autorité dans la maison, d’abord elle est plus fine que l’homme, ce n’est pas douteux et puis il y a la question de la galanterie, de la politesse dont personne, en France, je suppose, ne niera l’influence civilisatrice.
Et puisque nous sommes sur ce chapitre, je voudrais bien dire leur fait à certains misogynes qui se vengent de n’avoir jamais su plaire aux femmes en les dénigrant partout. N’avez-vous jamais entendu ces goujats prétendre que la femme est un être ridicule, exagéré, ne pensant qu’au luxe et au plaisir ? etc… etc… Parbleu ! exagéré ! qui dit cela ? des hommes qui n’ont jamais été capables de s’enthousiasmer pour rien. « C’est la preuve d’un esprit médiocre de louer toujours médiocrement », dit La Bruyère. Croyez-moi ! savoir s’emballer pour la forme d’un « col bateau un peu mou et fermé par un faux bouton » c’est aussi savoir s’emballer pour les nobles causes : qui peut le plus, peut le moins. « Le col bateau mou » ! ce n’est pas rien, c’est la question du luxe que vous soulignez là. Or, avec ça que le luxe n’est pas la fortune d’un pays ! Aimer le luxe, c’est un signe de grandeur d’âme. Juger les gens d’après leur plus ou moins de luxe, c’est juger leur capacité de gagner de l’argent et gagner de l’argent au fond c’est toute la vie, hein ? Et puis comment juger les gens autrement ?
Je sais bien qu’à inoculer l’amour du luxe à vos enfants on peut les amener à la mollesse, et notamment les filles, à l’adultère, au divorce, à la haine, à l’abandon des enfants. Oh ! bien entendu ! mais si vous allez par là, tout mène à ce que vous dites. Et la misère donc ! on les connaît les promiscuités des mansardes, les drames de la misère, on la connaît la vertu des pauvres gens. De quoi diable nous parlez-vous là ? Allez, croyez-moi, ce sont les mères qui ont raison ! Soyez sûrs que rien ne remplace l’expérience des cheveux blancs et votre lourde philosophie allemande n’ajoutera rien à nos facultés d’intuition, de divination, d’impressionnabilité, etc., quasi merveilleuses, à nos haines et à nos amours inexplicables mais toujours préventives, le tout caché sous une apparence frivole. Un grand homme l’a dit : « Une femme d’esprit a toutes les qualités d’un honnête homme et les charmes d’une femme » ; et toute femme est, plus ou moins, une femme d’esprit.
Oui, Mme Vve Gagelin est une femme d’esprit. Cela je ne le nie pas. En tout cas elle aime à s’amuser. Le mot « amusant » revient dix fois dans ses lettres. Or, aimer à s’amuser n’est pas comme on peut le croire l’indice d’un manque de réflexion et de conscience mais au contraire le signe d’une grande profondeur. Combien de génies illustres ont aimé à s’amuser sans cesser d’être pour cela des génies. Plusieurs même de nos ministres aiment à s’amuser. Alors ? ?
En conclusion, messieurs ! prenez toujours conseil de vos femmes avant d’agir et aussi de vos belles-mères si elles ressemblent à Mme Vve Gagelin.
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