Les mercantilistes appuient surtout sur le côté
qualitatif de l'expression de la valeur, conséquemment sur la forme équivalent
de la marchandise, réalisée à l'œil, dans la forme argent ; les modernes
champions du libre-échange, au contraire, qui veulent se débarrasser à tout
prix de leur marchandise, font ressortir exclusivement le côté quantitatif de
la forme relative de la valeur. Pour eux, il n'existe donc ni valeur ni
grandeur de valeur en dehors de leur expression par le rapport d'échange, ce
qui veut dire pratiquement en dehors de la cote quotidienne du prix courant.
L'Ecossais Mac Leod, qui s'est donné pour fonction d'habiller et d'orner d'un
si grand luxe d'érudition le fouillis des préjugés économiques de
Lombardstreet, — la rue des grands banquiers de Londres, — forme la synthèse
réussie des mercantilistes superstitieux et des esprits forts du libre-échange.
Un examen attentif de l'expression de la valeur de A en B a
montré que dans ce rapport la forme naturelle de la marchandise A ne figure que
comme forme de valeur d'usage, et la forme naturelle de la marchandise B que
comme forme de valeur. L'opposition intime entre la valeur d'usage et la valeur
d'une marchandise se montre ainsi par le rapport de deux marchandises, rapport
dans lequel A, dont la valeur doit être exprimée, ne se pose immédiatement que
comme valeur d'usage, tandis que B, au contraire, dans laquelle la valeur est
exprimée, ne se pose immédiatement que comme valeur d'échange. La forme valeur
simple d’une marchandise est donc la simple forme d'apparition des contrastes
qu'elle recèle, c'est-à-dire de la valeur d'usage et de la valeur.
Le produit du travail est, dans n'importe quel état social,
valeur d'usage ou objet d'utilité ; mais il n'y a qu'une époque déterminée dans
le développement historique de la société, qui transforme généralement le
produit du travail en marchandise, c'est celle où le travail dépensé dans la
production des objets utiles revêt le caractère d'une qualité inhérente à ces
choses, de leur valeur.
Le produit du travail acquiert la forme marchandise, dès que
sa valeur acquiert la forme de la valeur d'échange, opposée à sa forme
naturelle ; dès que, par conséquent, il est représenté comme l'unité dans
laquelle se fondent ces contrastes. Il suit de là que la forme simple que revêt
la valeur de la marchandise est aussi la forme primitive dans laquelle le
produit du travail se présente comme marchandise et que le développement de la
forme marchandise marche du même pas que celui de la forme valeur.
A première vue on s'aperçoit de l'insuffisance de la forme
valeur simple, ce germe qui, doit subir une série de métamorphoses avant
d'arriver à la forme prix.
En effet la forme simple ne fait que distinguer entre la
valeur et la valeur d'usage d'une marchandise et la mettre en rapport d'échange
avec une seule espèce de n'importe quelle autre marchandise, au lieu de
représenter son égalité qualitative et sa proportionnalité quantitative avec
toutes les marchandises. Dès que la valeur d'une marchandise est exprimée dans
cette forme simple, une autre marchandise revêt de son côté la forme
d'équivalent simple. Ainsi, par exemple, dans l'expression de la valeur
relative de la toile l'habit ne possède la forme équivalent, forme qui indique
qu'il est immédiatement échangeable, que par rapport à une seule marchandise,
la toile.
Néanmoins, la forme valeur simple passe d'elle-même à une
forme plus complète. Elle n'exprime, il est vrai, la valeur d'une marchandise A
que, dans un seul autre genre de marchandise. Mais le genre de cette seconde
marchandise peut être absolument tout ce qu'on voudra, habit, fer, froment, et
ainsi de suite. Les expressions de la valeur d'une marchandise deviennent donc
aussi variées que ses rapports de valeur avec d'autres marchandises[23].
L'expression isolée de sa valeur se métamorphose ainsi en une série
d'expressions simples que l'on peut prolonger à volonté.
b) Forme valeur totale ou
développée.
z marchandise A = u marchandise B, ou = v marchandise C, ou
= x marchandise E, ou = etc.
20 mètres de toile = 1 habit, ou = 10 livres de thé, ou = 40
livres de café, ou = 2 onces d'or, ou = 1/2 tonne de fer, ou = etc.
a) La forme développée de la valeur
relative.
La valeur d'une marchandise, de la toile, par exemple, est
maintenant représentée dans d'autres éléments innombrables. Elle se reflète
dans tout autre corps de marchandise comme en un miroir[24].
Tout autre travail, quelle qu'en soit la forme naturelle,
taille, ensemençage, extraction, de fer ou d'or, etc., est maintenant affirmé
égal au travail fixé dans la valeur de la toile, qui manifeste ainsi son
caractère de travail humain. La forme totale de la valeur relative met une marchandise
en rapport social avec toutes. En même temps, la série interminable de ses
expressions démontre que la valeur des marchandises revêt indifféremment toute
forme particulière de valeur d'usage.
Dans la première forme : 20 mètres de toile = 1 habit,
il peut sembler que ce soit par hasard que ces deux marchandises sont
échangeables dans cette proportion déterminée.
Dans la seconde forme, au contraire, on aperçoit
immédiatement ce que cache cette apparence. La valeur de la toile reste la
même, qu'on l'exprime en vêtement en café, en fer, au moyen de marchandises
sans nombre, appartenant à des échangistes les plus divers. Il devient évident
que ce n'est pas l'échange qui règle la quantité de valeur d'une marchandise,
mais, au contraire, la quantité de valeur de la marchandise qui règle ses
rapports d'échange.
b) La forme équivalent
particulière.
Chaque marchandise, habit, froment, thé, fer, etc., sert
d'équivalent dans l'expression de la valeur de la toile. La forme naturelle de
chacune de ces marchandises est maintenant une forme équivalent particulière à
côté de beaucoup d'autres. De même, les genres variés de travaux utiles,
contenus dans les divers corps de marchandises, représentent autant de formes
particulières de réalisation ou de manifestation du travail humain pur et
simple.
c) Défauts de la forme valeur
totale, ou développée.
D'abord, l'expression relative de valeur est inachevée parce
que la série de ses termes, n'est jamais close. La chaîne dont chaque
comparaison de valeur forme un des anneaux peut s'allonger à volonté à mesure
qu'une nouvelle espèce de marchandise fournit la matière d'une expression
nouvelle. Si, de plus, comme cela doit se faire, on généralise cette forme en.
l'appliquant à tout genre de marchandise, on obtiendra, au bout du compte,
autant de séries diverses et interminables d'expressions de valeur qu'il y aura
de marchandises. — Les défauts de la forme développée de la valeur relative se
reflètent dans la forme équivalent qui lui correspond. Comme la forme naturelle
de chaque espèce de marchandises fournit ici une forme équivalent particulière
à côté d'autres en nombre infini, il n'existe en général que des formes
équivalent fragmentaires dont chacune exclut l'autre. De même, le genre de
travail utile, concret, contenu dans chaque équivalent, n'y présente qu'une
forme particulière, c'est-à-dire une manifestation incomplète du travail
humain. Ce travail possède bien, il est vrai, sa forme complète ou totale de
manifestation dans l'ensemble de ses formes particulières. Mais l'unité de
forme et d'expression fait défaut.
La forme totale ou développée de la valeur relative ne
consiste cependant qu'en une somme d'expressions relatives simples ou
d'équations de la première forme telles que :
20 mètres de toile = 1 habit,
20 mètres de toile = 10 livres de thé, etc.,
dont chacune contient réciproquement l'équation identique :
1 habit = 20 mètres de toile,10 livres de thé = 20
mètres de toile, etc.
En fait : le possesseur de la toile l'échange-t-il contre
beaucoup d'autres marchandises et exprime-t-il conséquemment sa valeur dans une
série d'autant de termes, les possesseurs des autres marchandises doivent les
échanger contre la toile et exprimer les valeurs de leurs marchandises diverses
dans un seul et même terme, la toile. — Si donc nous retournons la série : 20
mètres de toile = 1 habit, ou = 10 livres de thé, ou = etc., c'est-à-dire si
nous exprimons la réciproque qui y est déjà implicitement contenue, nous
obtenons :
c) Forme valeur générale.
1
habit
|
=
|
10
livres de thé
|
=
|
40
livres de café
|
=
|
2
onces d’or
|
=
|
½
tonne de fer
|
=
|
X
marchandise A
|
=
|
Etc.
|
=
|
|
ý
|
20 mètres de toile
|
d) Changement de caractère de la
forme valeur.
Les marchandises expriment maintenant leurs valeurs : 1°
d'une manière simple, parce qu'elles l'expriment dans une seule espèce de
marchandise ; 2° avec ensemble, parce qu'elles l'expriment dans la même espèce
de marchandises. Leur forme valeur est simple et commune, conséquemment
générale.
Les formes I et II ne parvenaient à exprimer la valeur d'une
marchandise que comme quelque chose de distinct de sa propre valeur d'usage ou
de sa propre matière. La première forme fournit des équations telles que
celle-ci : 1 habit = 20 mètres de toile ; 10 livres de thé
= 1/2 tonne de fer, etc. La valeur de l'habit est exprimée comme
quelque, chose d'égal à la toile, la valeur du thé comme quelque chose d’égal
au fer, etc. ; mais ces expressions de la valeur de l'habit et du, thé sont
aussi différentes l'une de l'autre que la toile et le fer.
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