De même, Jim voyait – mais devant ses yeux grands ouverts – toute une fantasmagorie de cercles rouges, de points lumineux, de taches de sang, de couronnes écarlates, de boules enflammées qui tourbillonnaient en une ronde éperdue.
Sa raison s’égara. Il s’abattit sur le mur, et de ses poings formidables il frappa sans relâche, forcené, tandis que, de sa gorge, jaillissaient des cris incohérents.
– Eh bien ! Jim, qu’est-ce qu’il y a ? Encore tes accès de rage ? C’était le gardien que le bruit avait attiré et qui regardait entre les barreaux.
Jim recula et, par un effort, se maîtrisa, non pas qu’il eût peur, mais il ne voulait pas que le gardien entrât et vît le cercle rouge sur la muraille.
Le gardien examina l’homme durant quelques instants. Des gouttes de sueur baignaient le visage et le cou de Jim. Cependant, il paraissait maintenant calme et maître de lui.
– C’est fini, n’est-ce pas ? Un peu de silence à présent ! dit le gardien, qui s’éloigna.
Jim n’avait plus bougé. De nouveau, il regardait la muraille.
Le cercle rouge n’était plus là.
En même temps, par un phénomène inconcevable, mais dont il ne pouvait mettre en doute un seul moment la réalité affreuse, il avait la sensation nette, irrécusable, que le cercle rouge traversait l’étoffe de son vêtement, s’imprimait dans son dos, pénétrait dans sa chair et la brûlait comme un fer chauffé à blanc.
Sensation diabolique ! Et, pourtant, comment la nier ?
C’était intolérable. D’un coup, Jim sauta de côté, livrant passage à cette chose inconnue qui le torturait, et la chose se rua sur le mur, comme projetée par une puissance indomptable.
Le cercle était là de nouveau.
Et puis, soudain, il disparut. Plus rien. La muraille vide.
Jim respira.
Mais il y eut, coup sur coup, deux apparitions, deux boules de lumière qui jaillirent du mur, encore une interruption, puis toute une série d’éclairs, séparés les uns des autres par des intervalles réguliers.
Machinalement, Jim les compta, ainsi que l’on compte les vibrations lumineuses d’un phare.
Il y en eut quinze.
Une autre interruption. Puis deux éclairs.
Jim attendit. Mais il ne se produisit plus rien et, au bout de quelques minutes, il put croire qu’il ne se produirait plus rien.
– Deux… Quinze… Deux… murmura-t-il, se rappelant les nombres respectifs des trois séries d’apparitions du cercle rouge.
Cela n’eut pour lui, tout d’abord, aucune signification, car il n’en cherchait point. Mais, après un instant, il eut cette idée, tout à fait inconsciente, d’ailleurs, de confronter chacun de ces nombres avec la lettre qui lui correspondait dans l’alphabet.
Il obtint un B, un O et un B.
Alors, il éprouva une surprise sans bornes. Réunies, ces trois lettres – il s’en rendit compte – formaient un mot, ou plutôt un nom : Bob.
Et Bob, c’était le nom de son fils.
L’émotion le fit chanceler, il dut s’asseoir sur l’escabeau. Mais son effroi mystérieux était dissipé. Il n’était plus en face d’un prodige, et, sans comprendre encore la crise par laquelle il venait de passer, sans comprendre qu’il avait été le jouet de son cerveau malade et que le cercle rouge qu’il avait dessiné, ce cercle rouge qui l’obsédait, s’était, par hallucination toute naturelle, confondu avec la tache de lumière qui dansait sur le mur pour lui transmettre les signaux de son fils Bob, il comprenait, du moins, l’origine de cette tache de lumière et le sens de ces signaux.
Un grand apaisement l’envahit. Le cauchemar sournois et terrifiant de l’inexplicable s’éloignait de lui. Il savait.
Il savait ! Quelque part, juché sur un toit voisin, Bob, à travers le soupirail d’une des lucarnes de la cellule, l’avertissait de sa présence au moyen d’une petite glace de poche qui captait des rayons de soleil et les envoyait dans la cellule obscure.
2.
Cette lucarne, par où un peu de jour et d’air entrait dans la cellule, était toujours ouverte. Le soupirail, en pente douce, qui perçait un mur d’environ deux mètres d’épaisseur, de la lucarne à la cellule, allait en s’évasant.
Bien souvent, Jim s’était glissé à plat ventre jusqu’à l’orifice extérieur, trop étroit pour qu’on ait cru nécessaire de le griller, et de là, pendant de longues heures, le prisonnier avait plongé son regard plein d’ennui farouche sur une petite cour, sombre comme un puits, dont il apercevait, à trente pieds au-dessous de lui, les pavés humides et verdâtres.
Jim, après s’être assuré que le couloir était désert, refit cette manœuvre. Ses épaules, trop larges, se heurtèrent aux moellons des parois, mais sa tête émergea.
En face et un peu au-dessus de lui, il y eut un léger sifflement.
Il leva les yeux.
Bob se trouvait sur un toit, de l’autre côté de la cour, au bas d’une pente d’ardoises si abrupte que c’était folie de s’y aventurer. Deux corps de cheminées en briques l’encadraient, et Jim s’avisa, sans surprise d’ailleurs, car il savait son fils assez peu brave, qu’une corde lui entourait la taille et que quelqu’un, par conséquent, posté derrière une des cheminées, devait le tenir solidement.
Trois mètres au plus séparaient le père et le fils. Bob allait parler, mais Jim lui souffla :
– Tais-toi. Pas un mot.
Alors Bob saisit à côté de lui une planche qui était posée sur les ardoises et la rabattit comme un pont-levis entre le toit et le rebord de la lucarne.
– Non, protesta Jim, c’est idiot ! on va te surprendre !
Il avait reculé, et il vit son fils qui se laissait glisser le long de la planche.
Jim redescendit dans la cellule. Bob, adolescent long et mince, et qui semblait désarticulé comme un acrobate, passa sans trop de peine par la lucarne et rejoignit son père. Il défit le lien fixé à sa ceinture.
Tout cela n’avait pas duré deux minutes.
Le soleil avait dû disparaître derrière les hautes maisons voisines, l’ombre était plus lourde au creux de la cellule, et c’est à peine si Jim distinguait les traits de son fils.
Il murmura :
– Pas de bruit… le gardien est là…
Il appuya sa main sur l’épaule de Bob, le poussa à un endroit où on ne pouvait pas le voir de la grille et chuchota d’une voix brève et dure :
– Qu’est-ce que tu veux ?… Pourquoi es-tu venu ? Parle…
Bob subissait la réaction de son effort excessif et du danger couru.
Peut-être aussi avait-il peur de son père. Il était blafard et haletait. Enfin, il commença un récit gémissant de son entreprise. Il avait eu l’idée, « avec un de ses amis », de monter sur le toit de l’immeuble voisin ; il avait hésité en face des lucarnes…
– Je ne savais pas laquelle c’était… Et comment t’avertir ? Trois fois, nous sommes venus…
Jim l’interrompit :
– Cesse de baliverner. Parle… Pourquoi es-tu venu ? Que veux-tu de moi ?…
– Eh bien ! mais… balbutia Bob… voilà… peut-être bien que tu pourrais t’évader…
– M’évader ? par quel moyen ? Je ne suis pas une couleuvre, moi… Et puis, tu sais bien que je ne veux pas m’évader ! Un bandit de mon espèce doit rester dans sa cage… Ici, je ne peux pas nuire !… J’ai fait trop de mal, déjà…
Il jeta ces mots, d’une voix sombre. Puis, ayant réfléchi, il ajouta :
– D’ailleurs, tu mens. Tu ne tiens pas tant que ça à ce que je sois libre… Tu ne vas pas me parler d’affection, hein ? Ce n’est pas un sentiment qui te gêne… Ni moi non plus, du reste… Tu as fait ce qu’il fallait pour ça. J’aurais voulu un fils… un vrai fils, quoi… Un homme, un travailleur, vivant d’un métier honnête… au lieu de ça…
Il n’avait pas lâché l’épaule de Bob, il la serra d’une main brutale.
– Qu’est-ce que tu fais, maintenant ? Il y a six mois, quand j’étais encore libre, je t’avais trouvé une place sérieuse… Quoi ? Qu’as-tu dit ? On t’a renvoyé ? Et alors ? Comment vis-tu ? Chez qui travailles-tu ? Car tu travailles, j’espère ?
– Oui, je travaille, grogna Bob.
– Chez qui ? Réponds donc !
– Chez… chez Sam Smiling.
Jim sursauta.
– Chez Sam Smiling !… Chez ce cordonnier de malheur !… Ah ! par exemple…
– Mais c’est un de tes amis ! risqua Bob.
– Tais-toi ! C’est un bandit !… un vrai bandit, lui ! Il sait ce qu’il fait…
– Mais, je t’assure, il s’occupe de moi, il me donne de bons conseils.
– Allons donc ! Sam Smiling ! Je les connais, ses conseils !… Ah ! tu « travailles » chez lui ? Mais alors… je comprends… Avoue donc : c’est lui qui t’envoie ?
Jim tremblait de colère.
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