Il a une vingtaine d’années et il s’est contenté, jusqu’ici, de vivre en marge de la société, traînant de bar en bar, et chapardant tout ce qui se trouve à sa portée. Il n’a, jusqu’à présent, jamais été pincé dans une affaire sérieuse, et je n’ai pas entendu dire non plus que personne ait vu sur sa main le terrible Cercle rouge.
Le Dr Lamar se leva et regarda sa montre.
– Mademoiselle Hayes, voilà les données du problème. Vous en savez autant que moi. Maintenant, il est midi, le moment approche où Jim Barden doit être mis en liberté. Je vais aller l’attendre à sa sortie afin de savoir ce qu’il fera et de surveiller secrètement ses faits et gestes. Sans doute, il va essayer de retrouver son fils, et il retournera chez lui, c’est-à-dire dans un asile mystérieux que la police est persuadée qu’il s’est ménagé – car il disparaît quand il veut, sans qu’on puisse retrouver sa trace.
Le Dr Lamar se coiffa de son chapeau et ouvrit un tiroir de son bureau. Il y prit un revolver qu’il glissa dans une poche et une paire de menottes d’acier, qu’il mit dans une autre poche.
– Et maintenant, il faut que je me hâte si je veux assister au lâcher de la bête fauve, murmura-t-il en sortant.
CHAPITRE II – Une mise en liberté
L’asile pénitentiaire, vaste construction massive aux fenêtres défendues par d’épais barreaux, semblait plus sinistre encore sous le radieux soleil d’un midi de printemps.
Une auto luxueuse tourna l’avenue déserte et vint s’arrêter devant la lourde grille de l’asile.
La portière s’ouvrit. Deux femmes élégantes en descendirent. Une jeune fille d’abord, qui sauta légèrement sur le trottoir et se retourna pour offrir l’appui de sa main à sa compagne, une dame d’un certain âge.
La jeune fille sonna à la grille. Un gardien parut, salua les dames qu’il semblait connaître, les fit entrer et s’éloigna. Il revint bientôt dire que le directeur attendait Mme Travis et Mlle Florence Travis.
Mme Travis, une femme de cinquante ans environ, au visage calme et bon sous ses cheveux déjà presque blancs, se retourna vers la jeune fille.
– Viens-tu, Flossie ? lui dit-elle avec un accent qui décelait toute sa tendresse.
Flossie, ce diminutif charmant, allait bien à cette radieuse jeune fille, dont la beauté semblait éclairer cette morne geôle.
Elle paraissait grande et élancée dans sa souple robe de velours noir rayé de larges bandes blanches, dont le corsage échancré dégageait le cou délicat que caressait une fourrure de renard blanc. Elle avait un joli visage au teint pur, à la bouche fraîche, aux grands yeux parfois rêveurs et presque graves, parfois pétillants d’une gaieté d’enfant, au front blanc que couvraient à demi les cheveux bruns bouffants sous la gracieuse toque blanche. Tout en elle était harmonieux, séduisant et l’humeur capricieuse et fantaisiste de Florence Travis, son dédain pour les futiles préoccupations qui absorbaient les autres jeunes filles, l’originalité sincère et spontanée de ses goûts et de ses idées ajoutaient une sorte de personnalité savoureuse et prenante à son caractère indépendant, volontaire, mais foncièrement droit et dont le signe distinctif était une compassion ardente pour toutes les misères et toutes les infortunes.
Et c’était ce dernier sentiment que partageait et encourageait Mme Travis qui, ce matin-là, amenait Florence dans le lugubre asile où tant de misérables épaves du crime et de la folie étaient détenues.
Le gardien les précéda jusqu’au cabinet du directeur.
Celui-ci, assis à son bureau, se leva pour recevoir les deux dames. Ce directeur, M. Miller, était un homme froid, morose et solennel. Mais nul n’échappait au charme de Florence. En la voyant, M. Miller se souvint que l’humanité n’est pas tout entière composée de prisonniers et de gardiens. Il eut un sourire aimable en indiquant des sièges.
– Vous ne vous découragez donc pas, mademoiselle ? Vous continuez votre œuvre malgré les déceptions qu’elle vous a procurées ?
– Pourquoi me découragerais-je ? interrompit Florence. Ce n’est pas parce que j’ai eu quelques déceptions comme vous dites… Oui, oui, monsieur Miller, ajouta-t-elle en riant, je sais bien que Jones, dont l’hiver dernier, je me suis occupée, a essayé de faire cambrioler notre résidence de Blanc-Castel. Mais je sais très bien aussi que j’ai réussi plus souvent que je n’ai échoué et que plusieurs de vos anciens pensionnaires, grâce à l’aide que nous leur avons donnée, sont maintenant rentrés dans le droit chemin et gagnent honnêtement leur vie. On ne réussit pas à chaque tentative, vous ne l’ignorez pas, monsieur Miller, et c’est très beau déjà de réussir quelquefois… J’ai tant de pitié pour tous ces déshérités, pour toutes ces épaves de la vie qui, bien souvent, sont plus à plaindre qu’à blâmer…
Elle s’arrêta les yeux brillants, son joli visage tout animé d’émotion. Le directeur la regardait avec une admiration visible, où il y avait un peu d’étonnement railleur.
– Hélas ! mademoiselle Travis, voilà un enthousiasme qu’un vieux fonctionnaire comme moi ne peut plus ressentir. J’ai vu trop de choses… Mais cela ne m’empêche pas d’apprécier vos préoccupations humanitaires… et votre zèle infatigable… Vous êtes si différente des autres jeunes filles !…
– Je ne sais pas si je suis différente, dit Florence ; en tout cas, je n’ai pas grand mérite, car je sais bien que tout ce qui amuse mes amies ne m’amuse pas du tout, moi ! Et quand on est riches et heureuses comme nous le sommes, c’est un devoir de s’occuper des pauvres gens…
– Sans doute, sans doute… reprit M. Miller. Mais vous venez, mesdames, pour voir le fameux Jim Barden, qu’on va libérer… Si votre influence s’exerce sur cet homme-là, mademoiselle Travis, j’en serai bien surpris… Enfin, je vais donner l’ordre qu’on l’amène ici.
Le directeur sonna. Un gardien parut, auquel il donna ses instructions et qui s’éloigna vers l’intérieur de l’asile.
Dans le quartier réservé aux internés les plus dangereux, Jim se tenait debout au bord de sa cellule.
À travers les barreaux de la lourde grille qui l’enfermait, il avait passé son bras droit, et sa main pesante pendait en dehors. Ses yeux fixes regardaient droit devant lui, sans paraître rien voir, et il restait là sans bouger, comme une sombre image de révolte impuissante et de désespoir égaré.
Soudain, sur sa main droite, une marque se dessina, un stigmate circulaire, rose d’abord, puis plus foncé et qui devint comme une couronne écarlate, irrégulière : le Cercle rouge. Jim Barden entrait en fureur.
Il éleva sa main jusque devant ses yeux, regarda le stigmate mystérieux et eut un sourd ricanement de fou. Un pas retentit. Jim baissa la main. Le gardien parut, portant un paquet de vêtements. Il ouvrit la porte et les jeta au prisonnier.
– Habille-toi, ordonna-t-il.
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