J'ai un mari. Vous avez une femme. Je ne puis pas sortir de cette réalité.

Il serra les poings. Christiane sentait en lui une souffrance intolérable. Cependant, il se contint, et murmura âprement :

– La seule réalité, c'est l'avenir. Vous pouvez vous en aller, rien ne changera rien à ce qui est mon amour et votre amour.

Elle ne baissa pas les yeux. Elle souriait confusément, amicale à la fois et distante, et elle lui tendit la main.

– Votre main ? dit-il. Non, je ne veux de vous que vos lèvres.

Et en disant ces mots, il avait un tel air de résolution farouche, qu'elle recula un peu. Mais des pas se faisaient entendre dans le salon. Vanol et Boisgenêt entrèrent.

 

Chapitre 4

 

– Vous êtes donc revenu, Vanol ? demanda Jean d'Orsacq.

– Comme vous voyez, il y a dix minutes, avec Bernard Debrioux.

– Où est-il, Bernard ?

– Dans sa chambre. Il nous rejoint.

Christiane voulut sortir, mais d'Orsacq lui dit :

– Attendez-le ici, chère amie, puisqu'il nous rejoint… Et alors, Vanol, pas trop mouillé ?

– Pas du tout J'étais sous la première grotte des monticules pendant l'averse. Et nous sommes revenus dès que ce fut fini.

– Vous n'avez pas rencontré Lucienne, de ce côté-là ?

– Mais non. Elle est donc dehors ?

– Elle a été se promener.

– Comment ! dit Boisgenêt, mais elle se reposait dans sa chambre. Pourquoi cette lubie ?

– Tu la connais, dit d'Orsacq en haussant les épaules. Un besoin d'air… de mouvement… Bernard, dit-il à Debrioux qui arrivait aussi, tu n'as pas rencontré Lucienne ?

Christiane, qui s'inquiétait, proposa :

– Nous devrions tous nous mettre à sa recherche.

– Elle est peut-être rentrée à l'heure qu'il est…

Jean d'Orsacq fut sur le point de monter l'escalier intérieur, mais il s'arrêta en disant :

– Inutile, le verrou est toujours mis de ce côté.

Au moment où il allait sonner, Ravenot arriva, bientôt suivi par Amélie.

– Eh bien, fit d'Orsacq,… Madame ?

– Je n'ai pas trouvé Madame dans le parc, monsieur le comte.

– Étrange ! Vous avez appelé ?

– Oui. Et il est impossible que Madame n'ait pas entendu mon appel. Il n'y a que le cas où Madame aurait traversé le pont et se serait enfoncée dans le bois.

– C'est invraisemblable. Est-ce qu'il pleut encore ?

– Non, monsieur le comte. Mais le vent s'élève et chasse les nuages, de sorte qu'il y a un peu de lune et que j'aurais certainement vu Madame si elle était passée à portée de mes yeux.

– Cherchez encore, Ravenot. Il n'est pas admissible que Madame se promène seule ainsi dans les bois, par ce temps humide. Il y a là un malentendu… quelque chose qui s'expliquera de soi-même.

– Il paraîtrait qu'Antoine, le jardinier, a rencontré Madame pendant la pluie.

– Où est-il, Antoine ?

– Au village, on est parti le chercher.

D'Orsacq, qui allait et venait avec agitation, s'arrêta brusquement devant le placard du coffre-fort.

– Qui est-ce qui a encore touché à ce placard, Ravenot ? dit-il d'une voix irritée. Je vous avais commandé de coller contre le battant un fauteuil… ce grand fauteuil-là.

Ravenot parut stupéfait.

– Ça fait deux fois, murmura-t-il,… Deux fois qu'on y touche. Ça, c'est raide. En voilà une histoire !

– Deux fois, Ravenot ?

– Oui, monsieur le comte, la première, tout au début, après le dîner… j'ai trouvé le fauteuil pas à sa place…

– Et qui croyez-vous ?…

– C'était M. Boisgenêt.

– M. Boisgenêt ? Vous êtes sûr ?

– Je l'ai vu qui en sortait. Amélie aussi, n'est-ce pas, Amélie ?

– En effet, dit Boisgenêt, j'ai examiné ce coffre. Et après ?…

– Mais vous aviez remis ce fauteuil devant le placard, Ravenot ?

– Oui, monsieur le comte. Ici, à sa place, exactement. Et voilà Monsieur le comte avouera que c'en est là une histoire !

– Mais non, fit d'Orsacq qui semblait plutôt préoccupé par l'absence de sa femme. Tenez, Ravenot, ramassez ce vase, et essuyez cette eau qui a coulé.

C'était un menu vase de cristal avec une rose. Il gisait sur le marbre d'une petite table ronde, et l'eau coulait.

– Quelqu'un est donc entré ici, pendant notre absence ? demanda-t-il.

– Ravenot et moi, dit Amélie, nous sommes venus enlever les plateaux, et c'est tout, Monsieur.