Le vase n'était sûrement pas tombé alors.

– Il l'était à mon retour ici, affirma d'Orsacq. Je l'ai vu aussitôt.

Il fit cette remarque distraitement. L'incident n'attirait pas son attention ni celle des autres personnes. Cependant on demeurait silencieux, et nul autre sujet de conversation ne semblait susceptible d'intérêt. Il y avait de l'étonnement, un peu de désarroi. Les choses n'étaient pas à leur place. L'absence prolongée de la maîtresse de maison aggravait la gêne. L'irruption du ménage Bresson et leurs efforts de gaîté n'apportèrent aucune animation. Vainement ils proposèrent une charade-pantomime, ou des petits jeux avec gages et pénitences. Ils n'eurent point de succès.

– Enfin quoi ! vous êtes funèbres, protesta Léonie. On croirait vraiment que mes prédictions se sont réalisées, et qu'il y a eu cambriolage et crime. Expliquez-moi ça. Alors, on vous a pris votre portefeuille, Vanol ?

Personne ne répondit. Ces deux petits faits, très simples peut-être, et fort naturels, le dérangement du fauteuil et la chute du vase s'imposaient peu à peu aux esprits comme des phénomènes d'importance. On en parla au ménage Bresson, et Bresson, sur-le-champ, riposta :

– Ça ne m'étonne pas du tout. C'est en rapport direct avec ce que j'ai vu.

D'Orsacq eut un geste de dénégation :

– Mais, mon cher Bresson, vous n'avez rien vu du tout.

– J'ai vu un homme descendre par là.

– Par cette fenêtre ?

– Par cette fenêtre.

La coïncidence était curieuse. À la seconde même où Bresson désignait la vaste baie, les deux battants s'entrouvrirent brutalement sous l'assaut formidable d'un coup de vent, qui les plaqua, avec un fracas de tonnerre, contre les volets de bois intérieurs.

– Bigre ! s'écria Boisgenêt qui ferma les battants, il faut que la tempête soit rude pour fracturer ainsi une fenêtre.

– Une fenêtre ne se fracture pas, déclara Bresson. Il n'y a pas de coup de vent, si formidable qu'il soit, qui puisse ébranler une fenêtre dont l'espagnolette est bien tournée, et par conséquent dont les deux extrémités de fer sont bien entrées dans les trous.

On lui posa des questions en hâte :

Que voulez-vous dire, Bresson ?

– Que la fenêtre n'était pas close…

– Ce qui signifie ?

– Parbleu ! qu'elle n'était que poussée.

– Mais qui l'aurait ouverte ?

– L'homme que j'ai vu enjamber le balcon et sauter dans les massifs… que j'ai vu, de mes yeux vu…

– Mais c'est effarant, insinua Vanol. Si Bresson a vu juste, rien ne nous prouve que sa femme se soit trompée dans ses prédictions.

– Aucune erreur possible, formula Léonie.

D'Orsacq avait sonné plusieurs coups. Ravenot et Amélie accoururent.

– Ravenot, demanda Jean d'Orsacq, cette fenêtre était-elle bien fermée ?

– Absolument fermée, monsieur le comte.

– Vous en êtes sûr ?

– D'autant plus sûr, monsieur le comte, qu'après le départ de monsieur le comte et de ses invités pour la fête sur la rivière, Amélie et moi, comme nous l'avons déjà dit à monsieur le comte, nous sommes revenus ici.

– Pourquoi ?

– Pour enlever les plateaux et ranger. Or, comme la nuit s'éclairait du côté de la rivière, j'ai ouvert cette fenêtre, et Amélie et moi nous avons regardé les illuminations. Amélie me dit que nous ferions mieux d'aller voir du haut du perron. Alors j'ai fermé, en tournant l'espagnolette à fond. J'en réponds.

– Donc, quelqu'un, par la suite, a ouvert et n'a pas refermé, conclut Bresson.

D'Orsacq réfléchissait. Comment n'eût-il pas évoqué la mystérieuse chose qui s'était produite dans la même pièce, vingt jours auparavant ? Si quelqu'un avait essayé, devait-on nier la possibilité d'une seconde tentative ? N'y avait-il pas corrélation entre ceci et cela ? entre les intentions de celui qui avait trouvé la mort après son expédition manquée, et les intentions de… ?

Mais d'Orsacq se refusa à suivre davantage sa pensée. Il fallait d'abord éclaircir le présent. Il reprit, à mi-voix :

– Cela fait trois choses anormales. Cette fenêtre… le fauteuil écarté de ce placard… et le vase renversé, Il est évident que les coïncidences sont nombreuses et qu'il est difficile de n'y voir qu'un effet du hasard. Cependant… Voyons, Ravenot, personne n'est entré ici que vous, n'est-ce pas ?

– Personne que moi et Amélie, monsieur le comte.

– Cependant comment expliquez-vous ?…

Vanol et Boisgenêt s'agitaient. Les Bresson et les Debrioux, groupés autour du comte, écoutaient avec attention.

– Comment expliquez-vous de tels phénomènes ? répéta Jean d'Orsacq.