Le Château

couverture

DU MÊME AUTEUR

Romans

L’Amérique

Le Procès

Le Château

Nouvelles

La Colonie pénitentiaire

Considération

Contemplation

Description d’un combat

La Métamorphose

La Muraille de Chine

Le Premier Grand Voyage en chemin de fer (Prague-Zurich)

Préparatifs de noce à la campagne

Tentation au village

Le Terrier

Un champion de jeûne

Un médecin de campagne

Le Verdict

Divers

Aphorismes

Les Aphorismes de Zürau

Cahier in-octavo (1916-1918)

Correspondance (1902-1924)

Journal

Journal intime

Lettres à Milena

Lettre à Max Brod – 1904-1924

Lettres à Olttla et à la famille

Lettre au père

Réflexions sur le péché, la souffrance,

l’espérance et le vrai chemin

Cette traduction a fait l’objet d’une première édition
chez Univers Poche en 1984.

TEXTE INTÉGRAL

TITRE ORIGINAL
Das Schloss

ISBN 978-2-7578-2741-3

© Éditions Points, 2011, pour la traduction française

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo

Table des matières

Couverture

Collection

Copyright

Table des matières

Une patience sans issue

Le sens d’un roman

Le Château, son intrigue

Une marche sans issue

L’explication du Château

L’humour

Le Château dans l’œuvre de Kafka

Une histoire pour chacun

Comment lire Kafka

Le texte et les problèmes de traduction

Biographie de Franz Kafka

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

Le secret d’amalia

La punition d’amalia

Adjurations

Les projets d’olga

Chapitre XVI

Chapitre XVII

Chapitre XVIII

Chapitre XIX

Chapitre XX

Une patience sans issue

Le sens d’un roman

« Les visions romanesques de Kafka nous parlent du monde sans mémoire, du monde après le temps historique », écrit Kundera dans « Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale » (Le Débat, n° 27, nov. 1983). Les grands romans de Kafka, en effet, qu’on le veuille ou non, parlent aussi de la grande mort de l’Europe, de l’éradication définitive et par l’intérieur de la pensée de liberté. Tout se passe comme si Kafka puis Musil ou Broch, Stefan Zweig ou Gombrowicz avaient d’avance senti déferler la barbarie sur l’Europe, sous sa forme hitlérienne d’abord, sous celle de l’occupation bureaucratique ensuite.

La dimension « politique » de l’œuvre de Kafka est en effet indéniable : mais le mot « politique » est à prendre dans un sens général comme description des structures de la société contemporaine, glissant peut-être vers une barbarie impalpable, incernable. Kundera dans cet article pose une question dont la formulation restitue déjà le déroulement même de ce dont parle Kafka : « La disparition du foyer culturel centre-européen fut certainement un des plus grands événements du siècle pour toute la civilisation occidentale. Je répète donc ma question : comment est-il possible qu’il soit resté inaperçu et innommé ? » (Le Débat, n° 27, p. 16). L’inaperçu et l’innommé sont au centre de tout ce qu’écrit Kafka ; il y a dans sa voix, comme un pressentiment, une anticipation ; non pas une vision, mais cette sensation indéterminée et étrange qui précède les grands anéantissements.

Ceci est une lecture immédiate, indispensable, mais qui pourtant ne va pas jusqu’au fond de ce qu’écrit Kafka. Il n’est pas suffisant de dire que son œuvre n’est que la description d’un certain fonctionnement social, d’un univers bureaucratique ; le génie de Kafka, c’est justement de se dérober à toute interprétation, d’aller toujours au-delà de ce qu’on en dit.

Le Château, son intrigue

Tout comme Le Procès, Le Château raconte une histoire extrêmement simple et cette fois particulièrement dérisoire : celle d’un arpenteur (mais l’est-il, même ?) convoqué dans un village pour un travail qu’il ne fera jamais. Il ne parviendra jamais au château qui domine le village, dont l’administration, à la fois lointaine et inaccessible, lui demeure insaisissable. L’Arpenteur K. – un homonyme de Josef K. du Procès – quitte les siens, fait un long voyage à travers la campagne enneigée et debout sur le pont de bois regarde le village devant lui, enfoui sous la neige.

Or, dès l’instant où ce pont est franchi, K. est pris dans un réseau inextricable de fausses manœuvres, d’incidents sans importance dans lesquels il s’enchevêtre et qui ne se déroulent qu’en sa présence ou de son fait. K. est là, pendant toute la durée du roman, d’un bout à l’autre, et cette présence de K. est précisément ce qui l’empêche d’accéder à ce qui sera bientôt son seul but : parvenir au château, être reconnu ou du moins être admis par lui ; mais K. est toujours sur son propre chemin : s’il n’existait pas, lui K., il y a longtemps qu’il aurait accédé au château1. C’est un peu la situation de l’enfant se demandant comment est l’arbre quand il ne le voit pas ; pour le savoir il n’a qu’une solution, se retourner et le regarder.

Avec une opiniâtreté aussi têtue que déplacée K. ne cesse de se tromper ; à chaque instant le moindre de ses propos est infirmé par la réalité ; tout ce qu’il fait débouche sur le vide mais il n’en persiste pas moins, incorrigible et pédant tout à la fois, comme s’il ne pouvait pas faire autrement. La femme de l’aubergiste ne le lui envoie pas dire : il est à la fois entêté et infantile (p. 92) ; au cours de cette conversation K., d’ailleurs, prend tout avec la superbe de l’ignorant et c’est l’aubergiste encore qui lui montrera, un peu plus loin, à quel point il ignore tout de la vie du village. Il trouve tout facile, mais dès le Ve chapitre le maire est obligé de démentir toutes ses conceptions, tous ses points de vue. Jamais K. ne progresse dans ses tentatives pour être admis au château, il est toujours au mauvais endroit au mauvais moment, mais si lui-même constate quelque erreur flagrante dans le fonctionnement de l’administration du château, celle-ci aussitôt s’avère à la fois insignifiante et impénétrable : à son arrivée, par exemple, (p. 28) le château d’abord confirme les soupçons du fils de l’intendant : K. n’est qu’un vagabond, pour rappeler aussitôt et dire que K. est bien arpenteur et qu’il a été engagé par le château ; par le maire du village (p. 105) il apprendra ensuite que son engagement n’est qu’une erreur administrative.

Une marche sans issue

Pourtant par une lettre remise par un haut fonctionnaire nommé Klamm, K. apprend que c’est de ce fonctionnaire qu’il dépend, mais cette lettre lui a été remise par un messager qui n’en est pas un et dont la belle apparence (p. 53) le trompe. Il n’a pas même été engagé. Il n’y a aucun travail d’arpentage à faire, il est là par erreur, comme le maire le lui démontre clairement (ch. V) ; sa présence est aussi inutile que dérisoire, il ne dérange même pas ; sa présence est tolérée, simplement ce qu’il voit n’est pas ce qui existe.

Un peu après son arrivée, K. attend ses aides qui le suivent, dit-il, avec les instruments de mesure (p. 29). Alors qu’il tente péniblement de se frayer un chemin dans la neige haute, deux personnages le dépassent et vont où il veut aller : ce sont non ses aides mais ceux que lui alloue le château qui le reconnaît donc comme arpenteur mais ne le charge d’aucun travail.

Ces deux aides, Arthur et Jeremias, sont des figures clés : ils sont comme la preuve manifeste du désarroi de K., ils figurent les obstacles qu’à chaque pas fait naître sa marche en avant.