se tenait devant le tableau sans même se retourner vers l’aubergiste.
– Non, dit l’aubergiste, le régisseur.
– Ils en ont un beau régisseur, vraiment, dit K., dommage qu’il ait un fils à ce point dévoyé.
– Non, dit l’aubergiste en attirant un peu K. vers lui et en lui chuchotant à l’oreille : – Schwarzer a exagéré hier soir, son père n’est qu’un sous-régisseur et même l’un des derniers.
À cet instant l’aubergiste fit à K. l’effet d’un enfant.
– Le vaurien ! dit K. en riant ; l’aubergiste, lui, ne riait pas, mais il dit au contraire :
– Même son père est puissant.
– Allons donc ! dit K. Tu tiens tout le monde pour puissant. Peut-être même moi ?
– Toi, dit-il timidement, je ne te tiens pas pour puissant.
– Tu observes fort bien, dit K., puissant je ne le suis vraiment pas pour te parler en toute confiance. Et en conséquence je n’ai probablement pas moins de respect pour les puissants que toi. Seulement, je ne suis pas aussi loyal que toi et je ne veux pas toujours le reconnaître.
Et pour consoler l’aubergiste et se le concilier davantage, il lui tapota légèrement la joue. Alors celui-ci sourit tout de même un peu. C’était vraiment un jeune garçon avec son visage mou, presque imberbe. Comment avait-il pu trouver cette femme large et assez âgée que l’on voyait s’agiter à la cuisine derrière un passe-plat, les coudes largement écartés du corps ? Pour l’instant K. ne voulut pas le pousser davantage dans ses retranchements ni chasser le sourire qu’il avait enfin pu faire naître, il lui fit donc seulement signe d’ouvrir la porte et sortit dans le beau matin d’hiver.
Il voyait, maintenant, le château se détacher nettement là-haut dans l’air clair souligné encore par la neige mince qui reproduisait toutes les formes. D’ailleurs en haut sur la montagne, il semblait y avoir beaucoup moins de neige qu’ici au village, où K. n’avançait pas moins péniblement qu’hier sur la route. Ici la neige allait jusqu’aux fenêtres des masures et pesait sur les toits bas, mais en haut sur la montagne tout de dressait libre et léger, tout au moins le semblait-il, vu d’ici.
Dans l’ensemble, le château, dans le lointain, répondait à ce que K. en avait attendu. Ce n’était ni un vieux château fort, ni un nouveau bâtiment d’apparat mais un ensemble étendu composé de quelques constructions à deux étages et de beaucoup d’autres basses, étroitement serrées ; si l’on n’avait pas su que c’était un château on aurait pu le tenir pour une petite ville. K. ne vit qu’une seule tour et il était impossible de savoir si elle appartenait à un bâtiment d’habitation ou à une église. Des vols de corneilles l’entouraient.
Les yeux fixés sur le château, K. continuait son chemin, rien d’autre ne l’occupait. Mais en approchant, le château le déçut, ce n’était finalement qu’un misérable village, fait d’un assemblage de maisons villageoises et remarquable uniquement parce que tout était en pierre ; le crépi était tombé depuis longtemps et la pierre semblait s’effriter. Fugitivement K. se souvint de sa petite ville natale ; elle n’avait rien à envier à ce prétendu château. S’il ne s’était agi pour K. que d’une simple visite, cela aurait été dommage d’entreprendre un si long voyage à pied et il aurait mieux fait d’aller revoir son vieux pays natal, où il ne s’était pas rendu depuis longtemps. En pensées, il comparait le clocher de sa ville natale avec la tour là-bas. Cette tour-là allait résolue, s’amincissant vers le haut, à large toit, couverte de tuiles rouges, un bâtiment terrestre – que pourrions-nous construire d’autre ? – mais visant plus haut que la masse serrée des maisons basses autour et plus nette que la grisaille quotidienne. Ici, en haut, la tour – seule visible – était celle d’une maison d’habitation, on s’en rendait compte maintenant, c’était une construction ronde, informe, en partie heureusement cachée par le lierre, avec de petites fenêtres qui brillaient au soleil et – cela avait quelque chose d’insensé – se terminait par une sorte d’échauguette dont les créneaux incertains, irréguliers, ruinés, comme dessinés par une main d’enfant malhabile ou négligente, se détachaient sur le ciel bleu. C’était comme si un triste habitant, qui aurait dû se tenir enfermé dans la pièce la plus éloignée, avait traversé le toit et s’était dressé pour se montrer au monde.
De nouveau K.
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