K. s’en trouva d’accord. Il y avait encore quelques paysans à boire de la bière mais il ne voulait s’entretenir avec personne, alla lui-même chercher la paillasse au grenier et se coucha à proximité du poêle. Il faisait chaud, les paysans gardaient le silence, il les examina encore un peu de ses yeux fatigués, puis il s’endormit.
Mais peu de temps après on le réveilla. Un jeune homme, en costume de ville avec un visage d’acteur, les yeux étroits, les sourcils fournis se tenait debout à côté de lui en compagnie de l’aubergiste. Les paysans étaient encore là eux aussi, quelques-uns avaient retournés leurs chaises pour mieux voir et mieux entendre. Le jeune homme s’excusa très poliment d’avoir réveillé K., se présenta comme le fils du régisseur du château et dit :
– Ce village est propriété du château, quiconque vit ou passe la nuit ici, habite ou passe en quelque sorte la nuit au château. Personne n’en a le droit sans l’autorisation comtale. Mais vous, vous n’avez pas une telle autorisation ou du moins vous ne l’avez pas montrée.
K. s’était à demi redressé, s’était lissé les cheveux, il leva les yeux vers ces gens et dit :
– Dans quel village suis-je venu m’égarer ? Y a-t-il donc un château ici ?
– En effet, dit le jeune homme lentement, pendant que çà et là quelqu’un secouait la tête, le château de Monsieur le Comte Westwest.
– Et il faut avoir l’autorisation de passer la nuit ? demanda K. comme s’il voulait se convaincre de n’avoir pas rêvé ce qu’on venait de lui communiquer.
– L’autorisation, il la faut, fut la réponse pleine d’un grand dédain pour K. Le jeune homme, bras étendu, interrogea aubergiste et clients : – Ou bien pourrait-on par hasard ne pas l’avoir, cette autorisation ?
– Donc, il va falloir que j’aille la chercher cette autorisation, dit K. en bâillant, et il repoussa sa couverture comme pour se lever.
– Et chez qui donc ? demanda le jeune homme.
– Chez Monsieur le Comte, dit K., il ne me reste rien d’autre à faire.
– Maintenant à minuit, aller chercher l’autorisation chez Monsieur le Comte ? s’écria le jeune homme en reculant d’un pas.
– N’est-ce pas possible ? demanda K. tranquillement. Alors pourquoi m’avez-vous réveillé ?
Cette fois, le jeune homme fut hors de lui :
– Voilà des manières de vagabond ! s’écria-t-il. J’exige le respect pour l’administration comtale ! Je vous ai réveillé pour vous faire savoir que vous devez quitter le territoire du comté.
– Ça suffit cette comédie, fit K. à voix étonnamment basse, il se coucha et ramena la couverture sur lui. – Vous allez un peu trop loin jeune homme et demain j’aurai l’occasion de revenir sur votre comportement. L’aubergiste et ces messieurs sont témoins pour autant que j’aie besoin de témoins. Mais pour le reste, sachez que je suis l’arpenteur que le comte a fait venir. Mes aides arrivent demain en voiture avec le matériel. Je ne voulais pas manquer le trajet à travers la neige, mais malheureusement j’ai perdu mon chemin à plusieurs reprises, c’est pourquoi je suis arrivé si tard, trop tard pour m’annoncer au château, je le savais déjà avant que vous ne me l’appreniez. Je me suis donc contenté de cette botte de paille pour mon repos que vous avez eu l’impolitesse – pour ne pas dire plus – de troubler. Voilà pour les explications. Bonne nuit messieurs.
Et K. se tourna vers le poêle.
– Arpenteur ? entendit-il encore demander de façon hésitante derrière son dos, puis tout le monde se tut. Mais le jeune homme se ressaisit bientôt et dit à l’aubergiste assez bas pour que cela puisse être pris pour une marque d’égards quant au sommeil de K. et assez haut pour être compréhensible. – Je vais demander par téléphone.
Comment, il y avait aussi un téléphone dans cette auberge de village ? On était excellemment équipé. Dans les détails cela surprenait K., dans l’ensemble, il s’y était attendu.
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