Mais il marche si lentement, il avance tellement à contrecœur, qu’on dirait qu’il regrette de devoir se séparer de quelqu’un, à l’intérieur.
LE CONCIERGE. —
Il est arrivé. Maintenant il attend derrière la porte, debout dans l’obscurité. Il attend que j’appuie sur ce bouton, pour qu’il puisse sortir dans la lumière. Mon dieu, est-ce bien vrai — ou est-ce que je rêve ?
(On frappe à la porte d’entrée. Les journalistes vont se poster en bas du petit escalier. La porte d’entrée et la porte intérieure s’ouvrent en même temps et aussi lentement l’une que l’autre. Lentement, le condamné à mort pénètre sur le palier et s’immobilise sur celui-ci. Eva pénètre dans le hall et s’arrête. Silence, pendant lequel tout le monde observe attentivement le condamné à mort.)
EVA. —
Ah, vous voilà. Je vous reconnais parfaitement. Vous n’avez pas changé. Ça ne peut être que vous ! (Elle va rejoindre les autres.) Quel effet cela vous fait-il ? N’êtes-vous pas heureux ? N’êtes-vous pas content ? Ah, comme cela doit être merveilleux pour vous de vous sentir libre, tout à coup, de ne plus être exposé à cette horreur qui a dû vous tourmenter pendant des mois. Le pays tout entier partage votre joie, ce soir. On parle de vous partout. On ne peut pas faire un pas sans entendre prononcer votre nom. Vous verrez cela vous-même dans un instant, quand vous sortirez. Dans les cafés, on n’entend que votre nom, dans les rues les gens se le jettent au passage. Les chauffeurs de taxi se penchent en arrière vers leurs passagers et commentent le miracle qui vient de vous arriver. Dans les restaurants, les filles les plus joyeuses murmurent votre nom en riant et souhaitent vous avoir auprès d’elles afin de vous montrer tout ce qu’elles ressentent pour vous ce soir. Est-ce que je peux vous prendre en photo ? Comme ça. (Eclairs de flash.) Parlez-nous un peu de votre bonheur.
LE CONDAMNÉ A MORT. —
Pardon, qu’est-ce que vous voulez dire au juste ?
EVA. —
Qu’est-ce que je veux dire ? Mais voyons, je veux dire ce que je dis. Il faut comprendre que les gens qui lisent nos journaux veulent savoir l’effet que cela fait d’avoir connu tout ce que vous avez connu. Est-ce que je peux écrire que vous êtes très content ce soir ?
SECOND JOURNALISTE. —
Ça doit bien être merveilleux d’être libre.
LE CONDAMNÉ A MORT. —
Ah, excusez-moi. Oui, bien sûr, j’ai compris ce que vous vouliez dire.
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