Aussi, ces raisons de juxtaposition, jointes aux raisons d’amour-propre et à une passion réelle qui n’avait d’autre issue que le mariage pour se satisfaire, amenèrent-elles Paul à un amour déraisonnable sur lequel il eut le bon sens de se garder le secret à lui-même, il le fit passer pour une envie de se marier. Il s’efforça même d’étudier mademoiselle Évangélista en homme qui ne voulait pas compromettre son avenir, car les terribles paroles de son ami de Marsay ronflaient parfois dans ses oreilles. Mais d’abord les personnes habituées au luxe ont une apparente simplicité qui trompe : elles le dédaignent, elles s’en servent, il est un instrument et non le travail de leur existence. Paul n’imagina pas, en trouvant les mœurs de ces dames si conformes aux siennes, qu’elles cachassent une seule cause de ruine. Puis, s’il est quelques règles générales pour tempérer les soucis du mariage, il n’en existe aucune ni pour les deviner, ni pour les prévenir. Quand le malheur se dresse entre deux êtres qui ont entrepris de se rendre l’un à l’autre la vie agréable et facile à porter, il naît du contact produit par une intimité continuelle qui n’existe point entre deux jeunes gens à marier, et ne saurait exister tant que les mœurs et les lois ne seront pas changées en France. Tout est tromperie entre deux êtres près de s’associer ; mais leur tromperie est innocente, involontaire. Chacun se montre nécessairement sous un jour favorable ; tous deux luttent à qui se posera le mieux, et prennent alors d’eux-mêmes une idée favorable à laquelle plus tard ils ne peuvent répondre. La vie véritable, comme les jours atmosphériques, se compose beaucoup plus de ces moments ternes et gris qui embrument la Nature que de périodes où le soleil brille et réjouit les champs. Les jeunes gens ne voient que les beaux jours. Plus tard, ils attribuent au mariage les malheurs de la vie elle-même, car il est en l’homme une disposition qui le porte à chercher la cause de ses misères dans les choses ou les êtres qui lui sont immédiats.
Pour découvrir dans l’attitude ou dans la physionomie, dans les paroles ou dans les gestes de mademoiselle Évangélista les indices qui eussent révélé le tribut d’imperfections que comportait son caractère, comme celui de toute créature humaine, Paul aurait dû posséder non-seulement les sciences de Lavater et de Gall, mais encore une science de laquelle il n’existe aucun corps de doctrine, la science individuelle de l’observateur et qui exige des connaissances presque universelles. Comme toutes les jeunes personnes, Natalie avait une figure impénétrable. La paix profonde et sereine imprimée par les sculpteurs aux visages des figures vierges destinées à représenter la Justice, l’Innocence, toutes les divinités qui ne savent rien des agitations terrestres ; ce calme est le plus grand charme d’une fille, il est le signe de sa pureté ; rien encore ne l’a émue ; aucune passion brisée, aucun intérêt trahi n’a nuancé la placide expression de son visage ; est-il joué, la jeune fille n’est plus. Sans cesse au cœur de sa mère, Natalie n’avait reçu, comme toute femme espagnole, qu’une instruction purement religieuse et quelques enseignements de mère à fille, utiles au rôle qu’elle devait jouer. Le calme de son visage était donc naturel. Mais il formait un voile dans lequel la femme était enveloppée, comme le papillon l’est dans sa larve. Néanmoins un homme habile à manier le scalpel de l’analyse eût surpris chez Natalie quelque révélation des difficultés que son caractère devait offrir quand elle serait aux prises avec la vie conjugale ou sociale. Sa beauté vraiment merveilleuse venait d’une excessive régularité de traits en harmonie avec les proportions de la tête et du corps. Cette perfection est de mauvais augure pour l’esprit. On trouve peu d’exceptions à cette règle. Toute nature supérieure a dans la forme de légères imperfections qui deviennent d’irrésistibles attraits, des points lumineux où brillent les sentiments opposés, où s’arrêtent les regards. Une parfaite harmonie annonce la froideur des organisations mixtes. Natalie avait la taille ronde, signe de force, mais indice immanquable d’une volonté qui souvent arrive à l’entêtement chez les personnes dont l’esprit n’est ni vif ni étendu. Ses mains de statue grecque confirmaient les prédictions du visage et de la taille en annonçant un esprit de domination illogique, le vouloir pour le vouloir. Ses sourcils se rejoignaient, et, selon les observateurs, ce trait indique une pente à la jalousie. La jalousie des personnes supérieures devient émulation, elle engendre de grandes choses, celle des petits esprits devient de la haine. L’Odiate e aspettate de sa mère était chez elle sans feintise. Ses yeux noirs en apparence, mais en réalité d’un brun orangé, contrastaient avec ses cheveux dont le blond fauve, si prisé des Romains, se nomme eauburn en Angleterre, et qui sont presque toujours ceux de l’enfant né de deux personnes à chevelure noire comme l’était celle de monsieur et de madame Évangélista. La blancheur et la délicatesse du teint de Natalie donnaient à cette opposition de couleur entre ses cheveux et ses yeux des attraits inexprimables, mais d’une finesse purement extérieure, car, toutes les fois que les lignes d’un visage manquent d’une certaine rondeur molle, quel que soit le fini, la grâce des détails, n’en transportez point les heureux présages à l’âme. Ces roses d’une jeunesse trompeuse s’effeuillent, et vous êtes surpris, après quelques années, de voir la sécheresse, la dureté, là où vous admiriez l’élégance des qualités nobles.
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