Le crime de Lord Arthur Savile

A propos de Wilde:

Oscar Fingal O'Flahertie Wills Wilde (October 16, 1854 – November 30, 1900) was an Irish playwright, novelist, poet, and short story writer. Known for his barbed wit, he was one of the most successful playwrights of late Victorian London, and one of the greatest celebrities of his day. As the result of a famous trial, he suffered a dramatic downfall and was imprisoned for two years of hard labour after being convicted of the offence of "gross indecency". The scholar H. Montgomery Hyde suggests this term implies homosexual acts not amounting to buggery in British legislation of the time.

Source: Wikipedia

Disponible sur Feedbooks pour Wilde:

  • Le Portrait de Dorian Gray (1891)
  • Note: This book is brought to you by Feedbooks.
    http://www.feedbooks.com
    Strictly for personal use, do not use this file for commercial purposes.

    Chapitre 1

     

    C’était la dernière réception de lady Windermere, avant le printemps.

    Bentinck House était, plus que d’habitude, encombré d’une foule de visiteurs.

    Six membres du cabinet étaient venus directement après l’audience du speaker, avec tous leurs crachats et leurs grands cordons.

    Toutes les jolies femmes portaient leurs costumes les plus élégants et, au bout de la galerie de tableaux, se tenait la princesse Sophie de Carlsrühe, une grosse dame au type tartare, avec de petits yeux noirs et de merveilleuses émeraudes, parlant d’une voix suraiguë un mauvais français et riant sans nulle retenue de tout ce qu’on lui disait.

    Certes, il y avait là un singulier mélange de société : de superbes pairesses bavardaient courtoisement avec de violents radicaux. Des prédicateurs populaires se frottaient les coudes avec de célèbres sceptiques. Toute une volée d’évêques suivait, comme à la piste, une forte prima donna, de salon en salon. Sur l’escalier se groupaient quelques membres de l’Académie royale, déguisés en artistes, et l’on a dit que la salle à manger était un moment absolument bourrée de génies.

    Bref, c’était une des meilleures soirées de lady Windermere et la princesse y resta jusqu'à près de onze heures et demie passées.

    Sitôt après son départ, lady Windermere retourna dans la galerie de tableaux où un fameux économiste exposait, d’un air solennel, la théorie scientifique de la musique à un virtuose hongrois écumant de rage.

    Elle se mit à causer avec la duchesse de Paisley.

    Elle paraissait merveilleusement belle, avec son opulente gorge d’un blanc ivoirien, ses grands yeux bleu de myosotis et les lourdes boucles de ses cheveux d’or. Des cheveux d’or pur(NB: En français dans le texte.), pas des cheveux de cette nuance paille pâle qui usurpe aujourd’hui le beau nom de l’or, des cheveux d’un or comme tissé de rayon de soleil ou caché dans un ambre étrange, des cheveux qui encadraient son visage comme d’un nimbe de sainte, avec quelque chose de la fascination d’une pécheresse.

    C’était une curieuse étude psychologique que la sienne.

    De bonne heure dans la vie, elle avait découvert cette importante vérité que rien ne ressemble plus à l’innocence qu’une impudence, et, par une série d’escapades insouciantes – la moitié d’entre elles tout à fait innocentes –, elle avait acquis tous les privilèges d’une personnalité.

    Elle avait plusieurs fois changé de mari. En effet, le Debrett portait trois mariages à son crédit, mais comme elle n’avait jamais changé d’amant, le monde avait depuis longtemps cessé de jaser scandaleusement sur son compte.

    Maintenant, elle avait quarante ans, pas d’enfant, et cette passion désordonnée du plaisir qui est le secret de ceux qui sont restés jeunes.

    Soudain, elle regarda curieusement tout autour du salon et dit de sa claire voix de contralto :

    – Où est mon chiromancien ?

    – Votre quoi, Gladys ? s’exclama la duchesse avec un tressaillement involontaire.

    – Mon chiromancien, duchesse. Je ne puis vivre sans lui maintenant.

    – Chère Gladys, vous êtes toujours si originale, murmura la duchesse, essayant de se rappeler ce que c’est en réalité qu’un chiromancien et espérant que ce n’était pas tout à fait la même chose qu’un chiropodist(NB: Podologue.) .

    – Il vient voir ma main régulièrement deux fois chaque semaine, poursuivit lady Windermere, et il y prend beaucoup d’intérêt.

    – Dieu du ciel ! se dit la duchesse. Ce doit être là quelque espèce de manucure. Voilà qui est vraiment terrible ! Enfin j’espère qu’au moins c’est un étranger. De la sorte, se sera un peu moins désagréable.

    – Certes, il faut que je vous le présente.

    – Me le présenter ! s’écria la duchesse. Vous voulez donc dire qu’il est ici.

    Elle chercha autour d’elle son petit éventail en écaille de tortue et son très vieux châle de dentelle, comme pour être à fuir à la première alerte.

    – Naturellement il est ici. Je ne puis songer à donner une réunion sans lui. Il me dit que j’ai une main purement psychique et que si mon pouce avait été un tant soit peu plus court, j’aurai été une pessimiste convaincue et me serais enfermée dans un couvent.

    – Oh ! je vois ! fit la duchesse qui se sentait très soulagée. Il dit la bonne aventure, je suppose ?

    – Et la mauvaise aussi, répondit lady Windermere, un tas de chose de ce genre. L’année prochaine, par exemple, je courrais grand danger, à la fois sur terre et sur mer. Ainsi il faut que je vive en ballon et que, chaque soir, je fasse hisser mon dîner dans une corbeille. Tout cela est écrit là, sur mon petit doigt ou sur la paume de ma main, je ne sais plus au juste.

    – Mais sûrement, c’est là tenter la Providence, Gladys.

    – Ma chère duchesse, à coup sûr la Providence peut résister aux tentations par le temps qui court. Je pense que chacun devrait faire lire dans sa main, une fois par mois, afin de savoir ce qu’il ne doit pas faire. Si personne n’a l’obligeance d’aller chercher monsieur Podgers, je vais y aller moi-même.

    – Laissez-moi ce soin, lady Windermere, dit un jeune homme tout petit, tout joli, qui se trouvait là et suivait la conversation avec un sourire amusé.

    – Merci beaucoup, lord Arthur  mais je crains que vous ne le reconnaissiez pas.

    – S’il est aussi singulier que vous le dites, lady Windermere, je ne pourrais guère le manquer. Dites seulement comment il est et, sur l’heure, je vous l’amène.

    – Soit ! Il n’a rien d’un chiromancien. Je veux dire qu’il n’a rien de mystérieux, d’ésotérique, qu’il n’a pas une apparence romantique. C’est un petit homme, gros, avec une tête comiquement chauve et de grandes lunettes d’or, quelqu’un qui tient le milieu entre le médecin de famille et l’attorney de village. J’en suis aux regrets, mais ce n’est pas de ma faute. Les gens sont si ennuyeux. Tous mes pianistes ont exactement l’air de pianistes et tous mes poètes exactement l’air de poètes. Je m’en souviens, la saison dernière, j’avais invité à dîner un épouvantable conspirateur, un homme qui avait versé le sang d’une foule de gens, qui portait toujours une cotte de mailles et avait un poignard caché dans la manche de sa chemise. Eh bien ! sachez que quand il est arrivé, il avait simplement la mine d’un bon vieux clergyman.