Les médecins ne servent guère qu’à tirer des honoraires de leurs clients. Ils ne peuvent même pas guérir ma maladie d’estomac.

– Je vous ai apporté un remède pour elle, lady Clem, fit gravement lord Arthur. C’est une chose merveilleuse inventée par un Américain.

– Je ne crois pas que j’aime les inventions américaines. Je suis même certaine de ne pas les aimer. J’ai lu dernièrement quelques romans américains et c’étaient de vraies insanités.

– Oh ! ici il n’y a pas du tout d’insanité, lady Clem. Je vous assure que c’est un remède radical. Il faut me promettre de l’essayer.

Et lord Arthur tira de sa poche la petite bonbonnière et la tendit à lady Clementina.

– Mais cette bonbonnière est délicieuse, Arthur. C’est un vrai cadeau. Voilà qui est vraiment gentil de votre part… Et voici le remède merveilleux… Cela a tout l’air d’un bonbon. Je vais le prendre immédiatement.

– Dieu du ciel, lady Clem ! se récria lord Arthur s’emparant de sa main, il ne faut rien faire de semblable. C’est de la médecine homéopathique. Si vous la prenez sans avoir mal à l’estomac, cela ne vous fera aucun bien. Attendez d’avoir une crise et alors ayez-y recours. Vous serez surprise du résultat.

– J’aurai aimé prendre cela tout de suite, dit lady Clementina en regardant à la lumière la petite capsule transparente avec sa bulle flottante d’aconitine liquide. Je suis sûre que c’est délicieux. Je vous l’avoue, tout en détestant les docteurs, j’adore les médecines. Cependant, je la garderai jusqu’à ma prochaine crise.

– Et quand surviendra cette crise ? demanda lord Arthur avec empressement, sera-ce bientôt ?

– Pas avant une semaine, j’espère. J’ai passé hier une fort mauvaise journée, mais on ne sait jamais.

– Vous êtes sûre alors d’avoir une crise avant la fin du mois, lady Clem ?

– Je le crains. Mais comme vous me montrez de la sympathie aujourd’hui, Arthur ! Vraiment l’influence de Sybil sur vous vous fait beaucoup de bien. Et maintenant il faut vous sauver. Je dîne avec des gens ternes, des gens qui n’ont pas des conversations folichonnes et je sens que si je ne fais pas une sieste tout à l’heure, je ne serais jamais capable de me tenir éveillée pendant le dîner. Adieu, Arthur. Dites à Sybil mon affection et grand merci à vous pour votre remède américain.

– Vous n’oublierez pas de le prendre, lady Clem, n’est-ce pas ? dit lord Arthur en se dressant de sa chaise.

– Bien sûr, je n’oublierai pas, petit nigaud. Je trouve que c’est fort gentil à vous de songer à moi. Je vous écrirai et je vous dirai s’il me faut d’autres globules.

Lord Arthur quitta la maison de lady Clementina, plein d’entrain, et avec un sentiment de grand réconfort.

Le soir, il eut un entretien avec Sybil Merton. Il lui dit qu’il se trouvait soudainement dans une position horriblement difficile où ni l’honneur ni le devoir ne lui permettaient de reculer. Il lui dit qu’il fallait reculer le mariage, car jusqu’à ce qu’il fût sorti de ses embarras, il n’avait pas sa liberté.

Il la supplia d’avoir confiance en lui et de ne pas douter de l’avenir. Tout irait bien, mais la patience était nécessaire.

La scène avait lieu dans la serre de la maison de Mr Merton à Park Lane où lord Arthur avait dîné comme d’habitude.

Sybil n’avait jamais paru plus heureuse, et, un moment, lord Arthur avait tenté de se conduire comme un lâche, d’écrire à lady Clementina au sujet du globule et de laisser le mariage s’accomplir, comme s’il n’y avait pas dans le monde un Mr Podgers.

Cependant, son bon naturel s’affirma bien vite, et, même quand Sybil tomba en pleurant dans ses bras, il ne faiblit pas.

La beauté, qui faisait vibrer ses nerfs, avait aussi touché sa conscience. Il sentit que faire naufrager une si belle vie pour quelques mois de plaisir serait vraiment une vilaine chose.

Il demeura avec Sybil jusque vers minuit, la réconfortant et en étant à son tour réconforté et, le lendemain de bonne heure, il partit pour Venise après avoir écrit à Mr Merton une lettre virile et ferme au sujet de l’ajournement nécessaire du mariage.

Chapitre 4

 

À Venise, il rencontra son frère lord Surbiton qui venait d’arriver de Corfou dans son yacht.

Les deux jeunes gens passèrent ensemble une charmante quinzaine.

Le matin, ils erraient sur le Lido, ou glissaient çà et là par les canaux verts dans leur longue gondole noire. L’après-midi, ils recevaient d’habitude des visites sur le yacht et, le soir, ils dînaient chez Florian et fumaient d’innombrables cigarettes sur la Piazza.

Pourtant d’une façon ou de l’autre, lord Arthur n’était pas heureux.

Chaque jour, il étudiait dans le Times la « colonne des décès », s’attendant à y voir la nouvelle de la mort de lady Clementina, mais tous les jours il avait une déception.

Il se prit à craindre que quelque accident ne lui fût arrivé et regretta maintes fois de l’avoir empêchée de prendre l’aconitine quand elle avait été si désireuse d’en expérimenter les effets.

Les lettres de Sybil, bien que pleines d’amour, de confiance et de tendresse, étaient souvent d’un ton très triste et, parfois, il pensait qu’il était séparé d’elle à jamais.

Après une quinzaine de jours, lord Surbiton fut las de Venise et se résolut de courir le long de la côte jusqu’à Ravenne parce qu’il avait entendu dire qu’il y a de grandes chasses dans le Pinetum.

Lord Arthur, d’abord, refusa absolument de l’y suivre, mais Surbiton, qu’il aimait beaucoup, le persuada enfin que, s’il continuait à résider à l’hôtel Danielli, il mourrait d’ennui  et, le quinzième jour au matin, ils mirent à la voile par un fort vent du nord-est et une mer un peu agitée.

La traversée fut agréable.

La vie à l’air libre ramena les fraîches couleurs sur les joues de lord Arthur, mais après le vingt-deuxième jour il fut ressaisi de ses préoccupations au sujet de lady Clementina et, en dépit des remontrances de Surbiton, il prit le train pour Venise.

Quand il débarqua de sa gondole sur les degrés de l’hôtel, le propriétaire vint au-devant de lui avec un amoncellement de télégrammes.

Lord Arthur les lui arracha des mains et les ouvrit en les décachetant d’un geste brusque.

Tout avait réussi.

Lady Clementina était morte subitement dans la nuit cinq jours avant.

La première pensée de lord Arthur fut pour Sybil et il lui envoya un télégramme pour lui annoncer son retour immédiat pour Londres.

Ensuite, il ordonna à son valet de chambre de préparer ses bagages pour le rapide du soir, quintupla le paiement de ses gondoliers et monta l’escalier de sa chambre d’un pas léger et d’un cœur raffermi.

Trois lettres l’y attendaient.

L’une était de Sybil, pleine de sympathie et de condoléance  les autres de la mère d’Arthur et de l’avoué de lady Clementina.

La vieille dame, paraît-il, avait dîné avec la duchesse, le soir qui avait précédé sa mort.