Vénus commençait à briller dans le ciel. Je
songeais. Madame Trépof est une jolie personne fort simple et tout
près de la nature. Elle a des idées de chatte. Je n’ai pas
découvert en elle la moindre de ces curiosités nobles qui agitent
les âmes pensantes. Et pourtant elle a exprimé à sa manière une
pensée profonde : « On ne s’ennuie pas quand on a des
ennuis. » Elle sait donc qu’en ce monde l’inquiétude et la
souffrance sont nos plus sûrs divertissements. Les grandes vérités
ne se découvrent pas sans peine ni travail. Par quels travaux la
princesse Trépof a-t-elle acquis celle-là ?
Girgenti, 1er décembre
1869.
Je me réveillai le lendemain à Girgenti, chez Gellias. Gellias
fut un riche citoyen de l’ancienne Agrigente. Il était aussi
célèbre par sa générosité que par sa magnificence, et il dota la
ville d’un grand nombre d’hôtelleries gratuites. Gellias est mort
depuis treize cents ans, et il n’y a plus aujourd’hui d’hospitalité
gratuite chez les peuples policés. Mais le nom de Gellias est
devenu celui d’un hôtel où, la fatigue aidant, je pus dormir ma
nuit.
La moderne Girgenti élève sur l’acropole de l’antique Agrigente
ses maisons étroites et serrées, que domine une sombre cathédrale
espagnole. Je voyais de mes fenêtres, à mi-côte, vers la mer, la
blanche rangée des temples à demi détruits. Ces ruines seules ont
quelque fraîcheur. Tout le reste est aride. L’eau et la vie ont
abandonné Agrigente. L’eau, la divine Nestis de l’agrigentin
Empédocle, est si nécessaire aux êtres animés que rien ne vit loin
des fleuves et des fontaines. Mais le port de Girgenti, situé à
trois kilomètres de la ville, fait un grand commerce. C’est donc,
me disais-je, dans cette ville morne, sur ce rocher abrupt, qu’est
le manuscrit du clerc Jean Toutmouillé ! Je me fis indiquer la
maison de M. Michel-Angelo Polizzi et m’y rendis.
Je trouvai M. Polizzi vêtu de jaune des pieds à la tête et
faisant cuire des saucisses dans une poêle à frire. À ma vue, il
lâcha la queue de la poêle, éleva les bras en l’air et poussa des
cris d’enthousiasme. C’était un petit homme dont la face
bourgeonnée, le nez busqué, le menton saillant et les yeux ronds
formaient une physionomie remarquablement expressive.
Il me traita d’Excellence, dit qu’il marquerait ce jour d’un
caillou blanc et me fit asseoir. La salle où nous étions procédait
à la fois de la cuisine, du salon, de la chambre à coucher, de
l’atelier et du cellier. On y voyait des fourneaux, un lit, des
toiles, un chevalet, des bouteilles et des piments rouges. Je jetai
un regard sur les tableaux qui couvraient les murs.
– Les arts ! les arts ! s’écria M. Polizzi,
en levant de nouveau les bras vers le ciel ; les arts !
quelle dignité ! quelle consolation ! Je suis peintre,
Excellence !
Et il me montra un saint François qui était inachevé et qui eût
pu le rester sans dommage pour l’art et pour le culte. Il me fit
voir ensuite quelques vieux tableaux d’un meilleur style, mais qui
me semblèrent restaurés avec indiscrétion.
– Je répare, me dit-il, les tableaux anciens. Oh ! les
vieux maîtres ! quelle âme ! quel génie !
– Il est donc vrai ? lui dis-je, vous êtes à la fois
peintre, antiquaire et négociant en vins.
– Pour servir Votre Excellence, me répondit-il. J’ai en ce
moment un zucco dont chaque goutte est une perle de feu. Je veux le
faire goûter à Votre Seigneurie.
– J’estime les vins de Sicile, répondis-je, mais ce n’est
pas pour des flacons que je viens vous voir, monsieur Polizzi.
Lui :
– C’est donc pour des peintures. Vous êtes amateur. Ma joie
est immense de recevoir des amateurs de peinture.
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