De nombreuses personnes qui sont souvent d’un mérite assez restreint effectuent des compilations à partir de tout ce qu’ils trouvent sur eux-mêmes dans les journaux, ou emploient d’autres personnes pour les effectuer. L’un de ces égotistes reçut un jour les strophes suivantes, signées par Agamemnon Melancthon Peters :

Cher Frank, cet album où tu te vantes

Que soit consignée la trace

Du moindre rôti poivré

Que tu as réalisé ;

En y collant de railleuses coupures

Sur lesquelles figure ton nom

En pensant que les rieurs

Ne font qu’attester ta gloire ;

Où tu disposes toutes ces images

Dues aux caricaturistes –

Qui croquent ta drôle d’allure

Et forcent tes traits sémites –

Cet album admirable, s’il te plaît,

Prête-le moi. Car j’en suis sûr,

A ta rossée quotidienne,

Le Seigneur mit la main.

Allah n. L’Etre Suprême des Musulmans, qu’il ne faut pas confondre avec celui des Chrétiens, des Juifs et tutti frutti.

Fidèlement j’ai suivi les préceptes d’Allah,

Et pleuré longuement sur les péchés des hommes ;

Et à genoux quelquefois dans le temple j’ai

Avec ferveur croisé les mains et somnolé.

Junker Barlow.

Allégeance n.

Elle m’apparaît, cette Allégeance,

Comme un anneau dans le nez du sujet,

A la grâce duquel cet organe est pointé

Dans le vent parfumé des onctions seigneuriales.

G.J.

Alliance n. En politique internationale, union de deux voleurs qui ont leurs mains si profondément enfoncées dans les poches l’un de l’autre qu’il leur est difficile de s’en prendre séparément à un troisième.

Alligator n. Crocodile d’Amérique, supérieur en tous points aux crocodiles des monarchies disparues du Vieux Monde. Hérodote prétendait que l’Inde était (à une exception près) le seul fleuve produisant des crocodiles ; apparemment, ils ont trouvé le moyen d’émigrer vers l’ouest et de se multiplier dans de nouveaux marigots.

Allonge n. Rayon d’action de la main de l’homme. Espace dans lequel il lui est possible (et habituel) de satisfaire directement sa propension à s’approvisionner.

C’est une vérité qui est vieille comme le monde

Que la vie et que l’expérience nous enseignent :

De toutes les infortunes qui accablent un pauvre hère,

L’entrave à son allonge est la moins supportable.

G.J.

Ambidextre adj. Capable de prendre avec un égal talent dans une poche de droite comme dans une poche de gauche.

Ambition adj. Irrésistible désir de se voir traîné dans la boue par ses ennemis de son vivant, et ridiculisé par ses amis après son trépas.

Ame n. Entité spirituelle qui n’est pas sans avoir provoqué de brillantes controverses. Platon soutenait que certaines âmes, qui, dans un état préalable d’existence (antérieur à Athènes), avaient baigné dans l’éblouissante lumière de l’éternelle vérité, entraient ensuite dans le corps de personnes qui devenaient des philosophes. Platon lui-même était un philosophe. Les âmes qui avaient un peu moins contemplé la vérité suprême animaient les corps des despotes et des usurpateurs. Dionysius I, qui avait menacé de décapiter le philosophe au large front, était un despote et un usurpateur. Platon, sans doute, n’était pas le premier à échafauder un système de philosophie qui permettait également d’épingler ses ennemis ; ce ne fut pas, en tout cas, le dernier.

« Concernant la nature de l’âme, » disait le célèbre auteur de Diversiones Sanctorum, « il y eut des discussions autrement plus rudes que pour ce qui concerne sa place dans le corps. Ma propre opinion est que l’âme tient son siège dans l’abdomen – et nous pouvons discerner par cela et commenter une vérité jusqu’ici inintelligible, à savoir que le glouton est de tous les hommes le plus dévot. Dans les Saintes Ecritures se trouve l’expression “faire un dieu de son estomac” – pourquoi, alors, ne serait-il pas pieux, celui qui porte en lui-même sa Déité pour rafraîchir sa foi ? Qui, mieux que lui, connaît le pouvoir et la majesté de ce qu’il porte en reliquaire ? A l’évidence, l’âme et l’estomac constituent une Entité Divine confondue ; et telle était l’opinion de Promasius, qui se trompa toutefois en ne croyant pas en l’immortalité. Il avait observé que la substance visible et matérielle succombait et s’altérait avec le reste du corps après la mort, mais de l’immatérielle essence, il n’avait aucune notion. Il s’agit de ce que nous appelons Appétit, et il survit à la pourriture et à la puanteur de la mortalité pour être récompensé ou puni dans l’autre monde, en fonction de ce que furent ses désirs charnels. L’Appétit dont les élans grossiers allaient vers les viandes malsaines des étalages publics et des cantines populaires connaîtra une éternelle famine, tandis que celui qui, poliment mais fermement, exigeait ortolans, caviar, tortues d’eau douce, anchois, pâtés de foie gras(1) et autres véritables denrées chrétiennes, continuera à en goûter les spirituelles saveurs pour l’éternité et au-delà, et à assouvir sa soif divine de la part immortelle des vins les plus rares et les plus précieux jamais dégustés dans ce bas-monde. Telle est ma conviction profonde, mais je m’afflige de devoir avouer que ni sa Très Haute Sainteté le Pape, ni sa Grâce l’Archevêque de Canterbury (que je vénère l’un et l’autre profondément), ne consentiront à ce qu’elle se répande. »

Amiral n. Partie d’un vaisseau de guerre qui est à la parole ce que la figure de proue est à la réflexion.

Amitié n. Bateau suffisamment grand pour transporter deux personnes quand il fait beau, et une seule en cas de mauvais temps.

C’était une mer d’huile et le ciel était bleu ;

Aimablement voguions-nous tous les deux.

(Beau fixe disait le baromètre.)

Un fracas tout à coup secoua le bateau

La tempête arriva, et nous nous querellâmes.

(O l’odieux, le vil, l’infâme !)

Armit Huff Bettle.

Amnésie n. Don de Dieu accordé aux débiteurs, pour compenser leurs faiblesses de conscience.

Amnistie n. Magnanimité d’un pays envers des coupables qu’il serait trop onéreux de sanctionner.

Amour n. Folie temporaire que l’on peut guérir par le mariage ou en retirant le patient du champ d’influence qui est à la source de l’indisposition. Ce mal, comme les caries dentaires et de nombreuses autres infections, fait surtout des ravages au sein des races civilisées, qui vivent selon d’assez artificielles conditions ; les nations barbares qui respirent l’air pur et se nourrissent de manière frugale ont la chance d’être à l’abri de ses atteintes. Le mal est quelquefois fatal, mais plus souvent chez le praticien que chez le patient.

Ane n. Crieur de foire doté d’une bonne voix mais manquant un peu d’oreille. De tout temps l’animal fut célébré de multiples façons par la littérature, l’art et la religion de tous les pays ; il n’est guère d’autre exemple d’un sujet aussi étonnant et aussi stimulant pour l’imagination humaine que celui de ce noble vertébré. Au point que certains se demandent (Ramasilus, lib. II., De Clem., et C. Stantatus, De Temperamente) s’il n’est pas tout simplement d’essence divine ; nous savons d’ailleurs qu’il a été l’objet d’un culte chez les Etrusques, et, s’il faut en croire Macrobius, chez les Cupasiens. Des deux seuls animaux admis dans le paradis de Mahomet aux côtés des bienheureux humains, le premier est l’âne qui transporta Balaam, et le second le chien des Sept Dormeurs ; ce n’est pas une mince distinction. Si l’on voulait rassembler tout ce qui a été écrit sur l’Ane, on obtiendrait une vaste et splendide bibliothèque de la taille de celle qui s’est constituée autour de l’œuvre de Shakespeare, formant un ensemble comparable aux Textes Bibliques. D’où l’on peut conclure que toute littérature, à des degrés divers, relève de la pure ânerie.

« Salut, Saint Baudet ! » braille le chœur des anges ;

« Prêtre de la déraison, et Prince des Disputes !

Grand co-Créateur, que ta gloire soit chantée :

Dieu fit tout le reste ; Ane, l’Ane est ton œuvre ! »

G.J.

Année n. Période de trois cent soixante-cinq déceptions.

Anormal adj. Qui n’est pas conforme à la moyenne. Dans les domaines des actes et de la pensée, être indépendant revient à être anormal, être anormal revient à être détesté. C’est la raison pour laquelle l’auteur de cet ouvrage invite ses lecteurs à tenter de se rapprocher de l’Homme Moyen, autant qu’il s’efforce quant à lui de se ressembler à lui-même. Quiconque atteindra ce but est assuré de la paix, d’une mort inéluctable et de la perspective de l’Enfer.

Antipathie n. Sentiment inspiré par l’ami d’un ami.

Aphorisme n. Sagesse prédigérée.

L’outre à vin qui lui sert de cerveau

Enfle d’une manière inquiétante

Et de ce vide abyssal tombe

La petite crotte d’un aphorisme.

“Le Philosophe Fou”, 1697.

Appât n. Sorte de préparation qui rend l’hameçon plus agréable au goût. La meilleure recette est la beauté.

Appétit n. Instinct délibérément implanté par la Providence afin de servir de Muse du travail.

Applaudissement n. Echo d’une platitude.

Arbre n. Grand végétal conçu par la nature pour servir d’instrument pénal, même si les égarements de la justice font que de nombreux arbres ne portent que des fruits négligeables, ou pas de fruits du tout. Quand il est naturellement pourvu, l’arbre est un agent bienfaisant de la civilisation et un facteur déterminant dans la morale publique.