On arrive ensuite derrière la maison de Balzac. L'entrée principale qui mène à cette maison se trouve dans un immeuble de la rue Raynouard. Il faut descendre deux étages et, grâce à l'obligeance de feu M. de Royaumont, conservateur du musée de Balzac, on pouvait sinon descendre l'escalier même que prenait Balzac pour aller rue Berton et qui est maintenant condamné, du moins prendre un autre escalier qui mène dans la cour que devait traverser le romancier et passer sous la porte qui le faisait déboucher dans la rue Berton.

On arrive, après cela, en un lieu où la rue s'élargit et où elle est habitée. On y trouve une maison adossée contre la rue Raynouard et qui la surplombe. Une vigne grimpe le long de la maison et, dans des caisses, poussent des fuchsias. A cet endroit un escalier très étroit et très raide mène rue Raynouard en face de la neuve voie qui est l'ancienne avenue Mercedes, nommée aujourd'hui avenue du Colonel-Bonnet, et qui est l’une des artères les plus modernes de Paris.

Mais il vaut mieux suivre la rue Berton qui s'en va mourant entre deux murs affreux derrière lesquels ne se montre aucune végétation, jusqu'à un carrefour où la vieille rue rejoint la rue Guillou et la rue Raynouard, en face d'une fabrique de glace qui grelotte nuit et jour d'un bruit d'eau agitée. Ceux qui passent rue Berton au moment où elle est la plus belle, un peu avant l'aube, entendent un merle harmonieux y donner un merveilleux concert qu'accompagnent de leur musique des milliers d'oiseaux, et, avant la guerre, palpitaient encore à cette heure les pâles flammes de quelques lampes à pétrole qui éclairaient ici les réverbères et qu'on n'a pas remplacées.

La dernière fois qu'avant la guerre j'ai passé rue Berton, c'était il y a 3

bien longtemps déjà et en la compagnie de René Dalize, de Lucien Rolmer et d'André Dupont, tous trois morts au champ d'honneur.

Mais il y a bien d'autres choses charmantes et curieuses à Auteuil...

Il y a encore, entre la rue Raynouard et la rue La Fontaine, une petite place si simple et si proprette que l'on ne saurait rien voir de plus joli.

On y voit une grille derrière laquelle se trouve le dernier Hôtel des Haricots !... Ce nom évoque l'Empire et la garde nationale. C'est là que l'on envoyait les gardes nationaux punis. Ils étaient bien logés. Ils y menaient joyeuse vie, et aller à l’ Hôtel des Haricots était considéré

comme une partie de plaisir plutôt que comme une punition.

Lorsque la garde nationale fut supprimée, l’ Hôtel des Haricots se trouva sans destination, et la Ville y fit son dépôt de l’éclairage. Tel quel, il constitue un musée assez curieux, propre à éclairer — c'est le mot — sur la façon dont s'illuminent, la nuit, les rues parisiennes.

Il n'y a plus que très peu de lanternes anciennes. On les a vendues aux communes suburbaines, mais en revanche, quelle forêt, sans ombre, de fûts en fonte, de lyres, de réverbères à gaz et à l'électricité !

On n'y voit guère de bronze ; il n'y a de réverbères en cet alliage coûteux qu'à l'Opéra. Autrefois, on cuivrait la fonte, et ce cuivrage revenait à près de 200 francs par réverbère. Aujourd'hui, la Ville est plus économe, on peint seulement les réverbères avec une couleur bronzée, et l'opération revient à 3 francs environ.

Les plus hauts et les plus grands réverbères, ce sont ceux du modèle dit des boulevards. Voici encore les consoles qui servent aux angles et dans les rues à trottoirs étroits.

Mais on peut regretter que la Ville n'ait pas conservé, dans son dépôt, au lieu de les vendre, un spécimen au moins de chaque appareil d'éclairage.

Il y en a bien quelques-uns à Carnavalet, mais si peu, et quelques photographies de certains modèles se trouvent encore à la Bibliothèque Lepelletier de Saint-Fargeau.

En été, une visite au musée de l'éclairage n'est pas recommandable.

Il n'y a pas plus d'ombrage, dans ce bocage métallique, que dans une 4

forêt australienne.