Mais, il y a de l'ombre sur la petite place.
C'est là, sur un banc, situé devant la grille, qu'Alexandre Treutens, au retour de ses pérégrinations, venait faire des vers.
Ce poète populaire était plus pauvre que les plus pauvres. Il composait des poèmes vaguement humanitaires qu'il récitait aux terrassiers ou aux mariniers, dans les bistrots. Quelles obscures raisons avaient amené ce petit homme triste à délaisser son métier de cordonnier pour la poésie ? Il errait aux environs de Paris, et, quand il s'arrêtait dans une localité, il avait un tel souci de respecter l'autorité, qu'il subordonnait son inspiration au bon plaisir du maire de l'endroit.
J'ai vu, de mes yeux vu, une pièce authentique délivrée par la mairie d'Enghien et donnant au nommé Alexandre Treutens la permission d'exercer pendant un jour, dans la commune d'Enghien, la profession de poète ambulant.
Dans la rue La Fontaine, du côté gauche, il y a un long mur gris sombre. Une porte qu'on ne franchit pas sans difficultés donne accès dans une cour où quelques poules se promènent gravement. A gauche en entrant, on a entassé de singulières choses qui sont, je crois, les cerceaux des anciennes crinolines.
Cette cour est encombrée de statues. Il y en a de toutes formes et de toutes grandeurs, en marbre ou en bronze.
Il paraît qu'il y a une œuvre de Rosso ; les grands cerfs de bronze du salon de 1911 ont été apportés là et se tiennent auprès de la Fiancée du Lion, œuvre bizarre inspirée par un passage de Chamisso : Parée de myrtes et de rosés, la fille du gardien, avant de suivre au loin et contre son cœur l'époux qui la réclame, vient faire ses adieux à
son royal ami d'enfance et lui donner le dernier baiser. Fou de douleur, le lion l'anéantit dans la poussière, puis se couche sur le cadavre attendant la balle qui va le frapper au cœur.
Le bâtiment de droite est une sorte de musée inconnu où l'on voit un grand tableau de Philippe de Champaigne, un Le Nain : Saint Jacques, beau tableau qui serait bien au Louvre, et un grand nombre de tableaux 5
modernes. Quelques salles sont pleines des christs que l'on a enlevés au Palais de Justice.
Celui d'Élie Delaunay mériterait qu'on l'exposât au Petit-Palais. La profusion de ces christs a quelque chose de touchant. On dirait d'un congrès de crucifiés. C'est qu'ils subissent en commun leur exil administratif.
Il me semble qu'au lieu de les abandonner ainsi on ferait mieux de les donner à des églises pauvres.
Ce musée fait partie d'une grande cité mystérieuse composée de l'ancien Hôtel des Haricots, derrière lequel se trouve la forêt de réverbères. Il y a aussi la Salle des tirages de la Ville de Paris, et, plus loin, dans une plaine immense, s'élèvent des pyramides de pavés. On les défait sans cesse et on les refait et parfois une de ces pyramides s'écroule, avec le bruit des galets quand la vague se relire.
Séparée de cette cité édilitaire par la rue de Boulainvilliers, une usine à gaz occupe, avec ses gazomètres, ses différentes constructions, ses montagnes de charbon, ses crassiers, ses petits jardins potagers, un terrain qui s'étend jusqu'à la rue du Ranelagh, à l'endroit où elle est une des plus désertes de l'univers. C'est là qu'habite M. Pierre Mac Orlan, cet auteur gai dont l'imagination est pleine de cow-boys et de soldats de la Légion étrangère. La maison où il demeure n'a rien de remarquable à
l'extérieur. Mais quand on entre, c'est un dédale de couloirs, d'escaliers, de cours, de balcons où l'on se retrouve à grand'peine. La porte de M.
Pierre Mac Orlan donne au fond du couloir le plus sombre de l'immeuble.
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